mercredi 12 septembre 2012

Règlements de comptes à U.Q. Corral

Site d'attraction d'O.K. Corral
RÈGLEMENTS DE COMPTES À U.Q. CORRAL

Il m’est arrivé ce qui m’arrive de moins en moins souvent. J’ai été intrigué par la parution d’un livre au titre prometteur, Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec. Dans cet ouvrage, nous retrouvons les mots et surtout la pensée de Jean-Marc Piotte, bien qu’il ait été assisté par un jeune professeur de l’Université d’Ottawa, Jean-Pierre Couture, à la fabrication de ce livre. Ces «nouveaux visages» auraient pu être puisés partout : dans le monde politique, bien sûr; dans le monde des affaires; dans le monde du spectacle (eh oui! être artiste ne signifie pas qu’on est nécessairement de gauche!), or il s’agit des intellos. Ce qui mérite une attention beaucoup plus sérieuse de ma part.

UN CONFLIT INTERGÉNÉRATIONNEL ENTRE INTELLOCRATES

Certes, le vent souffle à droite en Occident, et cela vaut aussi bien pour le monde intellectuel que pour n'importe quel autre. Si les mobilisations spectaculaires des mouvements Occupy Wall Street jusqu’à notre propre mouvement étudiant du «printemps érable» sembleraient démentir ce que je viens d’affirmer, il faut reconnaître que ce sont là de légers courants d’air frais qui nettoient les «miasmes» entretenus par le conformisme bourgeois grâce à la fois au confort de la consommation et au bavardage communicationnel incessant. Le vent de changement, prédit par les sondeurs et les journalistes pour annoncer un résultat étonnant le soir des élections québécoises du 4 septembre 2012, n’a pas soufflé suffisamment fort pour emporter les vieilles croûtes galeuses du Parti Libéral, qui ont pratiquement toutes été réélues, tandis que le poids de la droite exercé par la Coalition Avenir Québec sur le gouvernement minoritaire du Parti Québécois risque de ramener les politiques conservatrices à l’agenda d’un gouvernement tenu à la patte par un simple fil.

Beaucoup de ces intellectuels de droite que vise l’opuscule de MM Piotte et Couture sont des intellectuels de gauche déçus. On aurait aimé que M. Piotte nous rappelle que la «sensibilité» qu’ils ont développé autour de la pensée de Charles Péguy (1873-1914), qui, après avoir lorgné du côté socialiste et dreyfusard, ajoutant son nom à ceux de Jaurès et de Zola dans les pétitions demandant la réouverture du procès dans l’affaire Dreyfus, dériva vers la droite barrésienne pour finir par aller se faire tuer, sur le champ d’honneur, dès les premières semaines de la guerre de 1914. Or, il n’y a pas de péguysme en soi. Charles Péguy est une étoile filante qui, malgré les Cahiers de la Quinzaine et son œuvre éditorialiste, reste éloigné d’un Paul Claudel ou d’un Charles Maurras. Comme dirait Raymond Aron, Péguy fut un spectateur engagé, et non un leader littéraire ou politique de la droite. Aussi, exhumer les ossements d’un auteur qu’on ne lit plus, même en France, relève moins de l’originalité de la pensée-Péguy que de la trajectoire honteuse, reflet de celle de nos intellos, de passer d’un radicalisme de gauche (indépendance du Québec, justice sociale, équilibre des rapports humains) à un radicalisme de droite (rétrécissement dans la nation québécoise, refus de la pluralité, retour au culte de l’autorité et de la transcendance).

Les intellectuels d'ici sont, depuis toujours, comme la caboose de jadis attachée à la queue des convois ferroviaires, c'est-à-dire les pires colonisés de la société québécoise, s’accrochant encore au train français mais ne retrouvant plus, à la place de Maurras qu’une Marine Le Pen et à la place de Péguy un Michel Houellebecq. Déjà Guy Mollet qualifiait la droite française de l'époque la plus bête du monde! On a peine à imaginer ce qu’il dirait de celle d’aujourd’hui! Aussi, ceux qui sont les porteurs du nouveau visage du nationalisme conservateur effrayent plus qu’ils ne sont dangereux, dans la mesure où leur audience dépasse peu le niveau du monde universitaire. Ainsi, aucun d’eux ne peut figurer auprès de François Legault comme Jacques Bainville auprès de Maurras ou Robert Rumilly auprès de Duplessis.


Voilà pourquoi Les Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec est un pamphlet. Ce n’est pas une analyse profonde du conservatisme québécois, et comme il ne touche qu’une catégorie de personnes - les intellos -, c’est un pamphlet d’intellectuels contre d’autres intellectuels. Rassemblés sous le concept gramscien d’«hégémonie», les Joseph Yvon Thériault (sociologue d’origine acadienne), Jacques Beauchemin (sociologue également), Éric Bédard (historien) Marc Chevrier (politologue), Gilles Labelle (politologue) et Stephane Kelly (historien, sociologue et fabuliste), les auteurs leur prêtent une influence sociale qu’ils n’ont pas. Ils ne forment pas un clergé regroupé sous un dogme unique, mais une «sensibilité» assez vague, faite de nostalgie et de ressentiments. Ils sont plutôt différents l’un de l’autre, s’opposant même sur certains points; et le plus qu’on peut dire d’eux, c’est qu’ils forment le pendant québécois de ces «Contre-Lumières» dont parle Zeev Sternhell. On trouverait difficilement en eux de grands intellectuels mais plutôt des publicistes à la limite de la démagogie vulgaire de V-télé et des radios-poubelles et dont la toge universitaire cache beaucoup de choses pas très belles à étaler.

HARO SUR LA RÉVOLUTION TRANQUILLE!

Ce que Piotte et Couture visent au départ, c’est la critique acerbe que ces auteurs font de la Révolution tranquille et de son bilan. Or, Piotte est un produit privilégié de cette Révolution tranquille. Ses aspirations demeurent celles issues des belles années de la Révolution tranquille : liberté de pensée et de parole, socialisme, enseignement généralisé, service de santé universel, création des corporations d’État. Tout ce qui est aujourd’hui sous la cible des armes d’épaules de Stephen Harper et des Caquistes québécois. Avec des arguments analytiques solides, Piotte se laisse aller à ses colères. Il prend ainsi à revers une sottise d’Éric Bédard tirée de sa Chronique de la révolution tranquille (5 octobre 2010/20 novembre 2010): «Éric Bédard affirme que cette Révolution a engendré, dans le système scolaire, le décrochage, mais il ne voit pas qu’avant la création d’un système scolaire unifié à la suite de la réforme Parent, il n’y avait pas de décrochage parce que la majorité n’avait jamais “accroché”. Il critique le système de santé dont les urgences débordent, sans reconnaître que ces dernières étaient quasiment vides jadis, car seuls les riches, ceux munis d’une bonne police d’assurance et les nécessiteux de l’assistance publique pouvaient y accéder. Il s’en prend aux baby-boomers, artisans, selon lui, de la Révolution tranquille, qui n’auraient transmis aux jeunes générations que leurs dettes, réduisant l’histoire à une lutte de générations et en valorisant indirectement Duplessis qui n’a transmis ni dettes ni guère d’institutions valables. Il attaque le corporatisme syndical, ignorant celui beaucoup plus puissant des corporations privées. Il n’est donc pas étonnant qu’il publie une série d’articles dans les journaux de Quebecor en 2010, alors que les travailleurs du Journal de Montréal sont en lock-out depuis plus d’un an. Bref, sur ces questions, les positions de Bédard, comme celles de Joseph Facal et de Mathieu Bock-Côté, chroniqueurs de l’empire Quebecor, ne sont guère différentes de celles qui sont défendues par feu l’A.D.Q. et certaines franges du patronat» (p. 66) Ouille! Ça doit faire mal. Et avec raison, car la «nostalgie» de la tradition canadienne-française, de l’autorité paternelle et de la cellule familiale n’en est pas une de durée selon le sens bergsonien du terme, mais une pure fabrication de l’esprit; une mélancolie qui se justifie par un «âge d’or» que personne n’a connu et que très peu se souvienne comme ayant été, précisément, un âge d’or!

Ici, nous sommes bien arrivés au cœur du «pamphlet des pamphlets». Arrêtons-nous un peu sur ce paragraphe car il contient en soi tout ce qui oppose la génération de la vieille gauche (libérale, socialiste ou marxiste) à la nouvelle droite conservatrice (petite propriété, nationaliste, conservatrice). Certes, la Révolution tranquille n’a pas eu que des effets positifs. Comme l’enseigne pourtant la philosophie whig de l’histoire : qu’un René Lévesque n'ait pu prévoir que la consolidation d’Hydro-Québec mènerait à une dévastation des lacs et des rivières de la Province pour alimenter les villes industrielles du nord-est des États-Unis cinquante ans plus tard; qu’un Paul Gérin-Lajoie n'ait pu mesurer le taux de décrochage scolaire cinquante ans après sa réforme de l’éducation; qu’un Claude Castonguay n'ait pu supposer que l’assurance-santé conduirait à développer une machine administrative si lourde et byzantine qu’elle irait à l’encontre de la résolution même des maux qu’elle était sensés guérir; que le féminisme d’une Lise Payette pouvait en arriver à créer une crise d’identité dans les rapports hommes/femmes au point d’entraîner l’éclatement des familles; qu’enfin, la laïcité d’État propre à tout État moderne devant laquelle finit par céder l’Église catholique traditionnelle puisse être relayée par la «tolérance» des niqabs, des kirpans, des turbans et autres exotismes importés avec l’immigration inconnue jusqu’alors dans l’histoire du Québec, bien malin qui eut pu le prévoir en 1966!

La Révolution tranquille s’est imposée d’elle-même, tous partis confondus - Libéral et Union nationale -, parce que le régime duplessiste, héritier «logique et naturel» du régime Taschereau, ne pouvait plus convenir à l’ensemble de la population québécoise au moment où le monde d’après-guerre prenait un tournant radical. En torpillant la Révolution tranquille, nos nationalistes conservateurs torpillent la jeunesse de leurs prédécesseurs. Car c’est en tant que «jeunes» que les libéraux à la Trudeau et à la Vadeboncœur, les souverainistes à la Lévesque et à la Laurin, ont, de 1959 à 1980, bouleversé les fondements mêmes d’une société québécoise dans lesquels ces jeunes détracteurs d’aujourd’hui ne voudraient vivre pour rien au monde. Ce n’est sûrement pas de mémoire que les Bédard, Kelly et autres peuvent soupirer après le nationalisme de Duplessis, l’organicisme de la société traditionnelle canadienne-française, et la paix heureuse d’une époque où l’on vivait pas très loin des Hillbillies, jusque dans les quartiers pauvres de Montréal. Pour dire une platitude : la Révolution tranquille s’est imposée parce qu’elle s’imposait. Elle s’imposait parce que le tournant de la génération qui suivit l’immédiat après-guerre atteignait sa majorité dans le courant des années 1960, et qu’à cheval entre l’ancien et le moderne, entre le passé qui ne signifiait plus grand chose à l’heure de la télévision ouverte sur le monde et l’avenir était qu’il ne fallait pas manquer - encore une fois - le train de l'Histoire au moment où il passait.
De Gaulle, Ottawa 1944, avec McKenzie King

Puis, des structures, nos néo-nationalistes conservateurs passent aux idées. Voilà pourquoi, chez Bédard encore, mai 68 est condamné. Il s’amourache bêtement de la rhétorique sulfurée d’un individu aussi médiocre et fourbe que Sarkozy. Car, au cas où il ne s’en serait pas aperçu, Sarkozy, ce n’est quand même pas le général de Gaulle! De Gaulle représentait une certaine idée de la France. C’était un homme qui avait de la tenue, du panache et de la spiritualité. Sarkozy n’aura été qu’un faux personnage, du toc, une personnalité plus que médiocre. Ce descendant de métèque hongrois n’a pas, pour la France, la fierté et la prestance d’un Obama qui a toujours su, même en face de ses adversaires politiques, incarner la dignité de l’État et du peuple américains. Avec le scandale D.S.K., un socialiste a montré jusqu’où la bassesse de l’«esprit Sarkozy» pouvait atteindre les détenteurs de postes les plus importants ou les plus honorifiques de la République française, à l'interne comme à l’étranger. L’Union nationale qui applaudissait De Gaulle, ou ces jeunes nationalistes qui ont célébré son Vive le Québec libre! n’appartenaient pas à la même catégorie politique; du moins, tous lui reconnaissaient ce à quoi la nouvelle droite conservatrice ne peut accéder : la dignité. Aujourd’hui, où nous achevons la Révolution tranquille, nous sommes devant le choix : où nous la menons jusqu’à sa limite qui est la République sociale, ou nous la faisons avorter pour retourner à l’inféodation patriarcale, le traditionalisme ‘tit pâtira du frère André ou autres broutilles folkloriques dégradées.

À TRIBORD, TOUTES!

Que des intellectuels aussi ineptes que Mathieu Bock-Côté ou Joseph Facal, sans parler des «lucides» (plutôt des «lipides») dont la C.A.Q mais aussi le P.Q. expriment l’idéologie, parviennent à atteindre un auditoire aussi grand alors qu’il faut des colériques hystériques comme Pierre Falardeau et le prof Lauzon, auto-transformés en amuseurs publics, pour amener un discours de gauche devant les caméras des grands réseaux, c’est grâce à des institutions issues de la Révolution tranquille! Ainsi, Bock-Côté bouche aussi bien les trous à l’Université du Québec à Montréal qu’à Télé-Québec, où Marie-France Bazzo le reçoit en alternance avec Joseph Facal pour porter le sympathique discours de la droite. Car la droite n’est pas nécessairement faite de «méchants». Il en va de même pour une grande partie de ces revues, de ces bulletins publiés et qui ne seront jamais lus où s’affichent ces «chercheurs» à la «sensibilité» en pot de fleurs. Décidément, quand il s’agit de cracher dans la soupe où de poignarder pépère dans le dos, on trouve toujours une main droite assez leste pour accomplir le sacrilège. Il y a un peu de sang qui coule, inconsciemment, dans le pamphlet de Piotte. Boréal, qui publie Bédard et Kelly, est né de Boréal Express, fondé par un groupe de jeunes historiens des années 1970 qui voulaient offrir une alternative à l’emprise de la pensée groulxienne sur l’histoire nationale. Sans Révolution tranquille, MM. Bédard et Kelly publieraient aujourd’hui dans La Terre de chez nous, le journal des agriculteurs, comme le docteur Ferron publiait ses Historiettes dans une Revue médicale. Car, pour être publié dans l’Action nationale, il aurait fallu téter du clergé. Il en allait de même pour les thèses universitaires, comme l'a fait Marcel Trudel avec sa thèse très idéologique sur L'influence de Voltaire au Canada (1940), contemporaine pourtant de la grande révolution scientifique que fut l'École des historiens français des Annales.  Cette nouvelle droite conservatrice n’a de conservatrice que l’idéal économique des petits boutiquiers enrobé d’une nostalgie feinte, crinquée à bras, imaginée totalement à partir d’une frustration politique qui remonte, avec justesse comme le reconnaît Piotte, à la défaite référendaire de 1995.

Mais Piotte se fait lui-même conservateur quand il porte ses attaques sur ce que cette droite conservatrice peut apporter de neuf et qui servirait fort utilement à un nouveau discours de gauche. Je ne parle pas de cette sensibilité qui se confond avec la sensiblerie. Si je suis sensible à l’historiographie de mon enfance, c’est précisément en tant que représentation sociale qu’elle me touche et dont je suis personnellement tributaire, et non pas en tant que modèle historiographique à réhabiliter. LaFontaine d’ailleurs en faisait déjà partie mais non pas en tant que Réformiste de 1840 opposé aux Patriotes de 1837-1838 et aux Rouges annexionnistes. Mais Piotte n’a pas encore accepté que sa conception «objectiviste», héritée de Marx comme des positivistes, ne tient plus la route. Je le défie d’écrire une histoire du Québec actuel, en 2012, sans passer par la nécessaire représentation mentale qui lui impose de mettre son «ordre» dans un panorama d'images afin d’en dégager une cohérence explicative. La peur de tomber dans une «histoire relativiste» vaut-elle la peine de sacrifier l’expérience historique comme objet d’introspection analytique pour satisfaire à des schémas ou des modèles préalables à l’observation, l’étude, la mesure et l’analyse d’un contenu déjà classifié par notre esprit? Jamais les efforts du positivisme logique n’ont aboli la réalité de l’a priori kantien de la connaissance (non seulement de l’histoire mais de toutes les sciences). Les concepts de mode de production, de luttes de classes, d’économie politique ne sont pas sortis d’une immédiateté entre la connaissance expérimentale de Marx et la société industrielle capitaliste. C’est d’un long processus de représentation mentale qui, des rives du Rhin non encore industrialisée à l’Angleterre où Engels l’initia à la société des travailleurs industriels que s’est développée cette pensée théorique que M. Piotte défend comme une «vérité» au-delà de toutes représentations. En cela, il porte lui-même une conception métaphysique (matérialiste) de l’Histoire qu'il oppose à une autre conception métaphysique (idéaliste) véhiculée par la nouvelle droite conservatrice. Aussi, a-t-il tort, et sa contribution à la critique des nationalistes conservateurs ne dépasse pas celle qu’il aurait pu faire déjà en 1970.

Piotte n’hésite pas à faire la leçon - une leçon de marxisme - à ses interpellés et à son lectorat, et par là-même, il mine tout son travail de critique pour le réduire à celui d’un débat idéologique. Prenons sa critique des ouvrages de Joseph Yvon Thériault. Piotte reproche au nouveau conservateur de s’intéresser aux «représentations» plutôt qu’aux «faits historiques». Contre Thériault, il écrit : «Ce qui intéresse l’auteur est l’univers des représentations, celle des grands intellectuels (Lord Durham, le chanoine Groulx, etc.) qui auraient dit le sens de la nation canadienne-française, l’intention qui l’animait» (p. 35). Or, n’importe quel historien reconnaîtrait qu’un «fait» est construit tout aussi bien qu’il est «une donnée réelle». Il ne nous parvient, intellectuellement, qu’à travers les témoignages dont les psychologues vous diraient qu’ils ne sont que des «interprétations». Durham a fait «l’interprétation», pour la Couronne britannique, des faits de l’hiver 1837 dans les deux Canadas (qu’il visita peu d’ailleurs). L’objectivité du «fait» n’est perceptible qu’à travers l’«enquête» et la confrontation des témoignages recueillis viva voce ou par écrit de ceux qui en ont été témoins, puis les discours historiens qui ont suivi jusqu’à nos jours. Il n’y a aucun fait qui soit «une donnée immédiate de la conscience». Comme la connaissance historique se base sur les témoignages, elle PRODUIT des interprétations - y compris celles de M. Piotte. La preuve? M. Piotte écrit aussitôt : «Or, selon nous, l’histoire et les sociétés ne sont animés ni par un sens, ni par une intention. Elles sont traversées par des rapports de force entre classes, institutions et groupes sociaux, des intérêts divergents ou non, des idéologies diverses, des valeurs convergentes ou pas, etc. Thériault n’est malheureusement pas le seul sociologue qui, pratiquant une “philosophie sociologique”, projette sur la société ce qui relève des êtres humains : l’intention ou le sens. Cela ne saurait cependant l’excuser» (p. 35). Soyons honnête, le «selon nous» suppose immédiatement un «selon eux» et non pas une vérité contre une idéologie, la tare épistémologique du marxisme. M. Piotte, lui non plus, ne part pas des «faits historiques» mais d’un «selon nous» qui est une représentation dont la qualité n'est pas de nature mais de pensée. Personne ne peut plus accréditer la formule classique de la «science marxiste-léniniste», même si cette philosophie a contribué comme pas d’autres au développement de la sociologie et de l’histoire. Mais refuser de reconnaître les apports de la psychologie collective en tant que science humaine des représentations sociales, c’est montrer qu’on se refuse toujours de franchir le seuil du XXIe siècle. Cela aussi, malgré son discours gauchisant et son appel au marxisme, est une pensée …de droite.

QUERELLE DE PHILOSOPHIES DE L’HISTOIRE

Il ne faut donc pas s’étonner que Piotte s’en prenne avant tout à une conception «holistique» attribuée aux conservateurs nationalistes du Québec. Ce n’est pas un hasard si Thériault s’en tient, d’une part, à une conception canadienne-française qui ignore l’éclatement qu’elle a subi avec la Révolution tranquille, où à côté des Québécois ont été reconnus, comme distincts, les Acadiens, les Franco-Ontariens, les Franco-Manitobains et les Francsaskois, et d’autre part, à l’éclatement parallèle de l’histoire en spécialisations des sciences sociales : économie, sociologie, psychologie, anthropologie, etc. Piotte écrit ainsi: «la rigueur historique apparaît absente des préoccupations de Thériault. Il n’y a pas d’histoire sociale, ni d’histoire économique. Il n’y a pas non plus d’histoire politique, ni d’histoire religieuse, sauf si on les réduit à la sphère des idées. Il n’y a pas davantage d’histoire de la culture, sauf si la culture populaire se résume à celle des élites qu’il sélectionne par des procédés mystérieux» (p. 55). Or l’éclatement de l’histoire est précisément un fait des intellectuels issus de la Révolution tranquille qui, à l’exemple des historiens français de la seconde génération des Annales et des Cultural studies anglo-saxonnes, ont disséqué le tout historique en disciplines spécialisées sous le fallacieux prétexte qu’un esprit seul ne pouvait concevoir toute l’histoire.

Voilà pourquoi Piotte soutien les deux manuels d’Histoire du Québec contemporain de Linteau-Durocher-Robert, parce que l’Histoire du Québec contemporain n’est saisissable qu’à travers un découpage en autant de tranches qu’il y a de spécialisations modernes des sciences sociales : démographie, économie rurale, économie urbaine, industrialisation, finance, systèmes et pensées politiques, partis et personnel politiques, mouvement ouvrier, condition féminine, etc. Tout est présenté parfaitement en accord avec le cursus des cours donnés à l’UQAM en Histoire du Québec dans les années 1970-1980. Il n’y a donc rien d’«holistique» dans cette vision éclatée, il faut le dire, due à une génération «progressiste». Se sentant incapables de fournir des chapitres sur l’évolution des arts et des lettres, Linteau, Durocher et Robert firent même appel à François Ricard pour la rédaction de ces chapitres. Ce sont là d’excellents manuels scolaires, didactiques mais stratifiés, hors de toute sensibilité au vécu historique. Comme ces historiens, le politologue Piotte refuse l’idée que l’Histoire puisse être plus que la somme de ses parties. Il rejette cet «idéalisme» dans le camp de l’idéologie néo-thomiste qui fut celle contre laquelle, lui et sa génération luttèrent dans les collèges classiques avant 1960. Pourtant, ce refus de la synthèse en histoire s’oppose au programme même qui était celui des fondateurs de l’École des Annales, Marc Bloch et Lucien Febvre, qui considéraient que la connaissance historique était une connaissance de synthèse. La monographie ne devenait vraiment profitable que lorsqu’elle permettait de retoucher la synthèse tenue pour vraie, non de l’abolir au nom de la division technique du travail intellectuel! Tel fut le péché «scientifique» d’une génération d’intellos dont la limite de la démarche scientifique se voyait très vite réduite, tant au niveau méthodologique qu’épistémologique. Au-delà de cette frontière, nous pénétrons dans le champ de l’incertitude, c’est-à-dire de l’interprétation, et par conséquent, celui de la représentation, celui l’insertion de la subjectivité du savant dans le processus de la connaissance «objective». Aussi, le manque d’épistémologie ou de méthodologie attribué aux intellos néo-conservateurs relève-t-il d’un besoin de synthèse, et n’ayant pas de modèles hérités de la génération précédente - celle des Piotte, Linteau, etc. -, se tournent vers les modèles archaïques de Garneau, Groulx et Rumilly. Retrouvant du même coup les principes d’unités de temps, d’espace, d’intrigue et de corps de l’ancienne historiographie politique, nationale, religieuse (la sacralisation de la nation, attribuée à Jacques Beauchemin) et des grands hommes (reproché à Éric Bédard), de l’élitisme (à Marc Chevrier) avatar du cléricalisme groulxiste du milieu du XXe siècle. Comme on le voit, entre Piotte et les intellectuels du nationalisme conservateur, il y a un effet-miroir, un renvoi d’un marxisme sclérosé à un nationalisme désabusé; d’une philosophie de l’histoire et de la société qui s’est prise pour une science à un rejet quasi total du scientifique pour une approche métaphysique ou «transcendantal» du phénomène national. Plutôt que d’être une critique constructive, le pamphlet de Piotte s’avère être un coup de pédale sur l’accélérateur de la régression de la pensée québécoise.

PLURALISTE OU TRADITIONALISTE?

Le nationalisme pluraliste (un autre oxymoron bien québécois) est une obsession qu’on semble ignorer ailleurs. Sauf peut-être en France, et ce à cause de la religion civique que représente la République laïque issue des conflits politico-religieux sous les ministères Ferry et Combes au début de la IIIe République. Ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni aux États-Unis et à peine dans le Canada anglais nous trouvons un débat nationalitaire aussi corsé que celui que nous livrons autour de la «question nationale» et des communautés migrantes. Pour les nationalistes conservateurs, cette problématique est la conséquence de la Révolution tranquille (encore!), une acceptation tacite du multiculturalisme prêché par le libéralisme assimilateur de Pierre Elliot Trudeau. Au multiculturalisme, Piotte préfère l’interculturalisme, représenté par la position défendue par Gérard Bouchard lors de la tenue de la Commission d’enquête sur les accommodements raisonnables. Cette commission, faut-il le rappeler, a donné en un douloureux spectacle, toute la province de Québec dans ce qu’elle a de plus pitoyable! Elle a attiré à elle tous les phénomènes les plus ataviques de la dégénérescence congénitale des régions repliées sur elles-mêmes aussi bien que les échantillons de tous les coutumes, mœurs, lois, habillements et rituels exotiques des immigrants. D’un côté, le résultat du rêve passéiste des nationalistes conservateurs passait des rigodons primesautiers de Soirées canadiennes au grotesque le plus absurde du Festival Juste pour rire; de l’autre, une évidence que ce qui rassemblait tous ces immigrants était non pas qu’ils formaient un bloc homogène, mais une série de groupes migratoires venus pour des raisons spécifiques les unes des autres, unis seulement dans leur volonté de continuer leur historicité réciproque dans l’ignorance de l’historicité québécoise commune, vivant leurs traditions ethniques en parallèles beaucoup plus qu’en symbiose avec les valeurs québécoises. Devant un tel résultat, il est normal que les néo-conservateurs nationalistes québécois aient pris panique.

Tout le monde a pris la charte du conseil municipal d’Hérouxville pour une affaire sérieuse. Les démagogues de la droite ont applaudi à l’énoncé qu’à Hérouxville il serait désormais interdit de lapider sa femme, tandis que les gauchistes y ont vu la résurgence du vieux fonds duplessiste et catholique de la Province. Contre le niqab de la madame musulmane de Chez Walmart, on a braqué le crucifix de l’Assemblée nationale! Inutile de dire que ni la droite, ni la gauche ne connaissent vraiment le «peuple» qui reste, aussi bien pour l’un que pour l’autre, une abstraction théorique servant à justifier des appels idéologiques. Cet éclatement de la diversité, c’est dans le chapitre sur le «philosociologue» Gilles Labelle, qui me semble être la contribution plus spécifique de Jean-Pierre Couture au livre, qu’il apparaît. Ce dernier cite son confrère de l’Université du Québec à Montréal : «…dans mon université, le regroupement “gais et lesbiennes”, après être devenu le regroupement des “gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres”, a fini par inclure la pourtant improbable catégorie des “questionnants” pour devenir le regroupement des “gais, lesbiennes, bisexuels, transgenres et questionnants”. On attend la suite - on imagine, par exemple, que la non moins probable catégorie des “asexuels”, dont on a récemment découvert l’existence, fera bientôt partie d’une nomenclature appelée à sans cesse s’élargir» (p. 122). On s’entend sur le ridicule de la chose comme de la nomenclature. Dans les années 1970, à l’origine du mouvement gay, l’homosexualité masculine et féminine y étaient inclues. Le coût des opérations chirurgicales permettaient de rares «transgenres» tandis que le travestisme s’associait au sado-masochisme qui n’a pas d’orientation sexuelle en soi. La multiplication des catégories entraîne un morcellement du «bloc hégémonique», pourtant si cher à Piotte, qui lui enlève à la fois sa force politique et le respect de sa dignité, dignité qui s’affirme par un fractionnement schizophrénique. Ce n’est pas là le seul exemple. Celui de la multiplication des noms ajoutés au prénom d’un enfant résultant des mariages consécutifs participe du même mode de fractionnement. Ces «noms à pentures» inscrivent dans l’identité - le Moi - de l’enfant, la scission éventuelle ou accomplie de sa cellule familiale. Pour Gilles Labelle, c’est là un exemple de la décadence des valeurs traditionnelles à la base de l’identité québécoise; pour Piotte et Couture, c’est un exemple de pluralisme basé sur le libre-choix des époux consentants (sans demander, bien évidemment, la permission préalable des enfants)!

Décidément, les nationalistes conservateurs n’aiment pas les gais, etc. etc. et etc. Marc Chevrier, un autre «philosociologue» qui se perd dans la métaphysique la plus indigeste, décrit ainsi, non sans dégoût, la Gay Pride Parade de Montréal de l’été 1999: «Des familles au complet, des aïeux jusqu’au nourrisson, béaient d’admiration devant les danses frénétiques des biquets rasés à barbichette, des scalpeuses en bottes de cuir, des cowboys en slip, des skins à tétons percés, des nymphettes aux seins d’acier, des feluettes à lunettes ovales et des paons sortant tout droit du poulailler de la cage aux folles. Il s’en fallait de peu que, dans l’enthousiasme général, la foule n’agitât des godemichés peints aux couleurs de fleurdelisé» (p. 87). Or voilà des années que je prêche à mes amis qu’il faudrait annexer la parade de la Saint-Jean-Baptiste à celle de la Fierté Gaie. La première n’a cessé de raccourcir son chemin, de le concentrer sur une portion toujours plus réduite de la rue Sherbrooke, alors que la seconde ne cesse de la rallonger de l’ouest de la ville vers le Quartier Gai, à l’est, sur le boulevard René-Lévesque. La première ne cesse, d’année en année, de substituer aux chars allégoriques fantaisistes des «géants» en cartons et autres démonstrations de notre misérabilisme collectif. Devant le bleu poudre où se mêlent la partisanerie péquiste et les commandites gênées, les homosexuels s’exhibent en fastes et en couleurs, dans un mauvais goût certes, mais dans la richesse financière et commerciale de leur milieu : le défilé de la Saint-Jean est payé par l’État, celui des Gays par leurs entreprises privées. Constatez qu’il est indispensable d’user de l’excentricité afin de refouler derrière la proclamation patente de la fierté nationale ou de la fierté «genres», une certaine honte de relever encore d’un statut «minorisé». Provincial (lorsqu’il s’agit de ressembler à une colonie ou un protectorat) d’une part; sexuel de l’autre quand, pour se faire accepter, il faut intérioriser un comportement stéréotypé conforme à celui que supposent les hétérosexuels. Ces parades ne célèbrent pas l’affirmation, mais la perpétuation d’une aliénation qui, à force d’être choisie, est acceptée volontairement. À vouloir trop célébrer notre identité, celle-ci finit par nous échapper, entraînée par une force centrifuge, se perdant à travers des pluralités qui, de la simple séparation homme/femme à celle de Québécois de souche/néo-québécois immigrants, en est venu à une multiplicité qui ne raffermit pas la personnalité, au contraire, mais la dilue.

La critique de la droite nationaliste conservatrice n’est donc pas issue totalement d’une position politique ou idéologique. Cette «sensibilité» de droite est le reflet d’un malaise social plus général que les gauchistes promoteurs de la pluralité protégée, et ce jusque par cette monstruosité qu’est la «discrimination positive», ne parviennent pas à saisir. Ils se sont toujours refusés à considérer les effets pervers ou subversifs que cette pluralité entraînait chez les Québécois, bousculés moralement et socialement à s’y conformer sous peine d’une culpabilité morale personnelle. Or, tout le monde n'est pas prêt à se laisser revêtir de cette culpabilité honteuse. Les effets de cette négligence des politiques de gauche au nom du féminisme, par exemple, se sont développés parmi la population «mâle» qui avait toujours monopolisé ces postes. Ils ont été sous-estimés jusque dans leurs conséquences les plus extrêmes. D’une part, il y a eu la réplique sanglante de Polytechnique; d’autre part la déqualification de la virilité et de la masculinité qui a créé un mâle québécois obligé non plus seulement d’abolir ses stéréotypes avantageux de Gino et de mâle alpha, mais en plus de se déguiser en moumoune et en «homme rose». Il en a été de même des chômeurs qui ont accusé les immigrants d’être des voleurs de jobs. Stéphane Kelly peut bien caricaturer ces situations, mais l’important, ce sont ces ressentiments qu’une propagande de gauche, plus ostentatoire que réelle, a contribué à faire naître et à diffuser dans l’ensemble de la société et qui la maintiennent, aujourd’hui, au creux du pourcentage électoral.

Bref, ce que ne veulent reconnaître ni la droite conservatrice ni la gauche pluraliste, c’est qu’elles procèdent l’une de l’autre. Piotte n’écrit-il pas, convenant avec Marc Chevrier: «La fin première de l’école est la transmission d’un savoir, et non la socialisation, l’esprit de discipline ou autre chose. Nous sommes d’accord. Mais nous différons d’opinion avec Marc Chevrier sur le savoir à enseigner et sur la façon de le faire aux divers niveaux d’enseignement» (p. 96). Les deux groupements partagent donc une vision technicienne (technè) de l’école, mais l’un la voudrait de forme et de contenu de gauche, et l’autre de droite. Ce n’est pas très profond comme critique! Mieux vaut alors s’en tenir aux exagérations et aux affirmations grotesques des nationalistes conservateurs. Comme ils en sont bien pourvus, la tâche est d’autant plus facile!

L’IMPOSSIBLE SOLUTION ÉPISTÉMIQUE

Dès le début, Piotte donne des leçons de savoir et de méthodes, nous l’avons dit. Il s’adresse à la fois à son lectorat et aux «penseurs» dont il fait la critique. Il n’a pas de difficultés à trouver leurs failles dans l’armature logique, les déficiences méthodologiques, l’ignorance des faits et la médiocre approche empirique d’auteurs qui finissent, à l’exemple des Furet et des Gauchet de France, à s’anesthésier à leurs propres contradictions. Un Gilles Labelle ne fait pas le poids devant le vieil esprit analytique de Piotte: «Sur le plan de la méthode d’enquête, il avoue cependant être embêté par la question empirique du “comment”. Car comme il est question d’une quantité qui augmente, d’un approfondissement, on pourrait demander au maître : “Mais comment le mesurer?” et même “Pourquoi cette augmentation?” Et Labelle de répondre : “Pourquoi cet approfondissement? J’avoue être incapable de répondre clairement. Peut-être faudrait-il simplement évoquer le ressentiment accumulé contre l’Église”. La colère serait donc fondée sur le ressentiment et vice-versa? À défaut d’expliquer quoi que ce soit, apprécions ce bel exemple de raisonnement tautologique ou de propos autofondé (sic!)! Ce vice de méthode n’est pas fortuit, car il est symptomatique de la démarche d’ensemble de l’auteur qui ne se réfère jamais à des données empiriques pour tester ses propositions. Puisque tout est récit, il faut combattre les narrations adverses non sur la base de faits ou d’analyses concrètes, mais en opposant un récit à un autre. Ce que [Léo] Strauss invoquait comme nécessité du simple “rappel des vérités passées” (p. 113). En faisant abstraction du comment, on s’interdit l’accès au pourquoi (et au pour qui), de sorte que pour une «philosociologie», nous avons là quelque chose qui s’adresse à un esprit dont les neurones sont devenues des électrons libres. Si, de Weber et Durkheim, la sociologie a évolué pour en arriver à ça! On a de quoi pleurer toutes les larmes de notre corps. Si, aujourd’hui, des esprits de ce calibre sont devenus des centres de références pour la formation des étudiants; des centres de réseautage d’intellocrates ignares, incapables méthodiquement de confronter une problématique sociale ou historique aux faits, ce ne sont plus que de véritables parasites de sinécures. Comme on leur confie la formation de jeunes esprits, on ne peut que craindre pour la prochaine génération d’intelligences. Après moi, le déluge!

L’exemple de Stéphane Kelly est symptomatique de cette descente de la courbe intellectuelle, non seulement par rapport au nationalisme conservateur, mais par rapport à l’approche historiographique même. Piotte voit en lui un initiateur des institutions littéraires et académiques où se retrouvent, comme avec la revue Arguments dont il est membre fondateur, les porteurs de cette «nouvelle sensibilité» qui s’affiche à droite. Piotte présente Kelly essentiellement comme un idéaliste, ce qui n’est pas un compliment venant de la bouche d’un vieux marxiste. «Kelly attaque deux cibles très prisées par le néoconservatisme, soit les politiques de discrimination positive qui nuisent à l’idéal de civisme républicain et la culture rock qui serait responsable de la fin de la famille et de la prolifération du suicide» (p. 136). Plutôt que de nourrir ses thèses d’analyses sociologiques, il s’en remet à des cas anecdotiques sorties de sa tête, qu’il a, par induction, étendue à une échelle sociétale. Ses exemples sont grossiers mais n’en sont pas impossibles pour autant. La faille épistémologique repose non dans la réalité factuelle, qui reste à démontrer, des effets pervers de la discrimination positive favorisant les femmes sur les hommes et les immigrants sur les Québécois de souche, mais sur la pure fiction que la sociologie contemporaine utilise à l’égal des enquêtes statistiques traditionnels. Lorsque Michel Maffesoli dirigea et fit soutenir une thèse à l'astrologue Élizabeth Teissier, utilisant l’astrologie comme grille de lectures, la porte universitaire s’ouvrait, permettant l’entrée de toutes les fadaises théoriques, les supercheries farfelues, les «sensibilités» hystériques et pathologiques possibles pouvant tenir le rôle de modes d'interprétation. La démarche sociologique d’un Kelly s’inscrit dans ce cirque institutionnel.

Lorsqu’en 1997 j’ai lu la thèse publiée de Stéphane Kelly, La petite loterie, je me suis demandé comment un département universitaire, en sociologie ou en histoire peu importe, pouvait laisser passer un tel ouvrage aussi mal dirigé. Non pas que Kelly n’a pas fait les recherches de base à sa thèse - c’est probablement là qu’il s’est écœuré du travail ingrat de la recherche pour se convertir au travail d’imagination, plus agréable et moins difficile -, car jamais l’enseignement positiviste qui me fut donné au département d’histoire de l’UQAM, par exemple, n’aurait accepté qu’une thèse de doctorat confonde les exposés factuels avec des jugements normatifs sur les individus, voire même sur les situations! Se cachant pudiquement derrière la thèse célèbre d’Hannah Arendt sur le paria et le parvenu dans les rapports entre Juifs et Occidentaux, le parvenu d’Arendt devenait le traître de Kelly : LaFontaine, Parent, Cartier, ceux que l’on qualifiait de «réformistes» opposés aux Rouges, les libéraux étudiés avec profondeur, pour la même époque, par Jean-Paul Bernard.

Toute sa thèse regorgeait de défaillances épistémologiques et pour une discipline - la sociologie - que Piotte appelle l’une des sciences humaines issues de la Révolution tranquille, et même de l’un des Pères fondateurs, Georges-Henri Lévesque, c’était plus que décevant, c’était pitoyable. Ce qui n’a pas empêché Boréal de la publier sans réserves; Boréal, maison d’édition dont le comité de lecture des ouvrages historiques contenait des historiens de l’UQAM! L’enseignement produit par ces «maîtres» étaient donc phoney balloney. Sa page finale était en elle-même un retournement des yeux de l’avenir de l’historiographie au XXIe siècle, lorsqu’il écrivait : «L’ancienne sensibilité religieuse a fait place à une sensibilité thérapeutique, qui légitime la délégation du pouvoir à une minorité d’experts. Ces derniers prétendent pouvoir guérir mille et un aspects de la vie sociale. Les intellectuels fédéralistes et indépendantistes, qui aiment se disputer sur bien des sujets, s’entendent hélas là-dessus. Ils ne peuvent s’empêcher de penser que le problème national canadien-français nécessite une bonne psychanalyse collective». (S. Kelly. La petite loterie, Montréal, Boréal, 1997, p. 232). Ce sont les dernières lignes du livre. Or, le petit monsieur ne savait pas de quoi il parlait lorsqu’il écrivait cette sottise.

Mais il a continué plutôt que de prendre avis de ceux qui s’y connaissent. Sans doute a-t-il été marqué, comme moi et tant d’autres, de l’importance prise par les Psy Squad dans nos sociétés stressées et incapables de gérer la dépression et la tristesse. Mais jamais la psychanalyse n’a pensé qu’il était possible d’appliquer une «thérapeutique» aux collectivités qui résoudraient leurs problèmes alors qu’elle n’en connaît pratiquement aucune pour soulager les névroses individuelles. Cette fiction, sortie tout droit de la tête d’Harry Potter, a trouvé à se fixer sur Camil Laurin et Fernand Dumont. Piotte s’arrête sur un passage des Fins du Canada : «…le “docteur Laurin”, c’est ainsi qu’on l’appelait, avait une conception bien particulière du passé canadien-français. Dans son analyse, la religion catholique avait eu une fonction compensatrice pour un peuple faible et vulnérable. Comme beaucoup d’intellectuels de sa génération, Laurin utilisait le vocabulaire de la pathologie sociale. Il s’était donné la tâche de guérir le “malade canadien-français”. L’examen de son inconscient collectif révélait un blocage psychologique, attribuable à un catholicisme sclérosé, voire débilitant. Laurin voyait dans son projet de loi 101 l’équivalent d’une cure aux soins intensifs. Le “diagnostic” de Laurin faisait écho aux thèses d’Hubert Aquin sur la “fatigue culturelle”. Laurin souhaitait soulager, revitaliser, énergiser la culture québécoise. Le travail de rédaction de la loi fut laissé à Fernand Dumont. Autre adepte de la sensibilité thérapeutique, ce sociologue avait manifesté dès 1958 la volonté de soumettre l’inconscient collectif canadien-français à une thérapie. Dans son article programmatique de Cité libre, Fernand Dumont proposait l’étude des idéologies, ces “pensées funestes”, afin de mettre en chantier sa vaste psychanalyse collective» (Piotte, Couture, p. 141; S. Kelly. Les fins du Canada, Montréal, Boréal, 2001, pp. 224-225). Comme demandait Elisabeth Roudinesco : Pourquoi tant de haines?

En effet, de quoi à peur M. Kelly lorsqu’il s’en prend à la psychohistoire, qui n’a pas de développement enraciné dans les études historiographiques québécoises? Question que ne pense même pas à lui poser M. Piotte car, on le sait, les gauchistes ont aussi peur de l’analyse psychique que les droitistes. Marx, Lénine et Gramsci leur suffisent. Pourtant, dans La petite loterie de M. Kelly, les Canadiens Français sont implicitement perçus comme les Juifs de l’Amérique du Nord. Ils forment des enclaves, des ghettos dont la province de Québec est le plus grand, avec sa religion dominante, ses traditions folkloriques, sa langue toujours menacée d’assimilation ou de persécution… Voilà pourquoi il s’autorise à y transposer, comme un décalque, la thèse arendtienne du paria et du parvenu. Or, M. Piotte, dans son exposé sur le livre d’Éric Bédard, Les Réformistes, paru - toujours chez Boréal - douze ans après celui de Kelly et portant sur les mêmes personnages et la même période historique, commet, dans une note infrapaginale, une erreur chronologique qui crée une distorsion dans la suite de son exposé même. «Les héros de Bédard deviennent des vendus chez Stéphane Kelly : La petite loterie…» (p. 75, n. 14). Or, ce sont les vendus (de S. Kelly) qui sont devenus les héros (d’É. Bédard), et la portée de cette évolution est fondamentale pour comprendre l’évolution des Nouveaux Visages du nationalisme conservateur au Québec! Le mouvement de pensée du nationalisme conservateur est donc inverse à celui que laisse supposer la note sinon tout le pamphlet de Piotte, ce qui permet de suivre la consolidation de la pensée nationaliste conservatrice, des lendemains du référendum de 1995 à la normalisation de la Constitution de 1982 au cours des décennies. En 1995, des Québécois, en grand nombre, pouvaient refuser cette constitution; aujourd’hui, un nombre encore plus grand serait prêt à l’accepter sans critique. Désormais, les nationalistes néo-duplessistes - où les vendus - se louent pas cher, peuvent même négocier avec Ottawa des aménagements qui renouvelleront le pacte confédératif et fera de cette génération de nationalistes québécois, non pas celle de ses «libérateurs» mais celle qui lui fera signer la Constitution, soit à travers un gouvernement caquiste, soit même par le Parti Québécois.

Mais l’utilisation dont Kelly fait des Réformistes canadiens-français comme des parvenus du régime anglais dissimule deux souvenirs-écrans tangibles. Le premier, je l’ai dit, ce sont les Juifs, à qui Kelly associe la thèse d’Arendt; le second, famille oblige, les Irlandais. De ceux-ci, il ne traite mot, car les Irlandais ont sacrifié leur langue à celle de l’oppresseur britannique pour sauver leur religion; la Révolution tranquille a choisi l’option inverse : elle a sacrifié la religion catholique (et ses mœurs, sa morale, son autoritarisme romain, son conservatisme qui refuse la liberté de pensée) pour sauver sa langue. Double couche de frustrations historiques donc, c’est assez pour enraciner un ressentiment assez fort dans les esprits. On y retrouve-là les considérations de Nietzsche sur le rôle des ressentiments comme moteur d’une certaine histoire, et c’est par l’analyse de la psychologie collective et l’usage de l’instrument psychanalytique que nous atteignons les raisons profondes de cette vaine agitation de neurones.

LE SECRET HONTEUX DES INTELLOCRATES BABY-BOOMERS

Cette agitation de neurones donne l’impression qu’une petite armée de conservateurs s’engage à ressusciter un Québec traditionnel sans avoir à recourir au picaresque ni au folklore. La sacralisation d’une nation maintenue dans les frontières provinciales du Québec remplacerait l’idéal de souveraineté et d’indépendance nationale; de la philosociologie se dégage une république de grands esprits, élitiste, érigée autour de ses hommes d’affaires, ses politiciens, ses intellectuels universitaires et ses vedettes de télé ou de sport; la métaphysique du pouvoir délaisse la souveraineté nationale pour le souverain, c’est-à-dire un sauveur : Papineau, LaFontaine, Cartier, Laurier, Duplessis, Lévesque… C’est par des «personnalités» hors normes, nous dit Kelly, que le Canada a été fait, il en sera de même du Québec à venir. Carlyle serait sans doute fier de son lointain compatriote! Enfin, le ressentiment que Piotte associe à la démarche de Kelly fournit aux ressentiments petits-bourgeois de province un billet d’intellectualité que le maire Jean Tremblay de Saguenay serait en peine de lui fournir. Les ressentiments envers la Révolution tranquille, Mai 68, la musique pop, les gays, lesbiennes, etc. etc., les sciences humaines, l’immigration bâclée, les défaites référendaires sont au cœur de ce conflit de générations universitaire pour la domination des institutions de haut-savoir et politiques. Pour la droite néo-conservatrice, ils conduisent non pas à un nationalisme sain et progressiste, mais à un nationalisme aigre et régressif. Mais cette conclusion, M. Piotte ne pouvait la formuler tant son marxisme tombe à plat, heureusement ou malheureusement.

Il ne le pouvait car il y a un secret honteux qui hante la génération des boomers, surtout ceux qui se sont installés dans les institutions de haut-savoir dans les années 70. M. Piotte, comme ses contemporains maintenant à la retraite, sait très bien qu’à l’origine, les intellectuels issus de la Révolution tranquille ont gagné sans mérite les postes, les salaires, les conventions collectives et la sécurité d’emploi qui devaient être refusés à ce que M. Kelly appelle la Génération X. Le Rapport Parent, la création des CEGEP, des universités du Québec en province et à Montréal, et de Concordia dans le milieu anglophone, ouvraient des emplois disponibles à tous, même à ceux qui souvent n’avaient pas une maîtrise en poche. Les CEGEP et les départements universitaires s’arrachaient tout ce qu’ils pouvaient tant le taux de diplomation était faible parmi les Québécois et qu’il y avait de postes à l’enseignement post-secondaire à combler. Les portes des collèges et des universités étaient donc toutes grandes ouvertes pour les accueillir sans trop sonder la compétence de ces postulants et, une fois entrée dans l’institution, pour se protéger, ils se sont dotés de syndicats qui ont profité de la conjoncture d’un Trésor bien garni pour refermer la porte derrière eux. Le gouvernement Bourassa a signé des conventions collectives généreuses avec ses employés de l’État dont les retraites dorées sont aujourd’hui l’aboutissement. Choses que ne pourront se payer les générations X, Y ou Z. L’ardeur avec laquelle M. Piotte défend la C.S.N. lors de la grève des professeurs de l’UQAM en 2009 contre les commentaires aigres de Marc Chevrier relève une évolution stoppée au conflit de 1975, lorsque le même SPUQ tenait une grève héroïque qui coûta une session universitaire. Ce syndicalisme, qui a tourné à droite à partir du moment où il s’est assis à côté des capitalistes par ses fonds de financement aux entreprises (pour sauver des emplois, bien sûr), n’a plus rien de ce syndicalisme qui avait encore, au moins, quelques prolétaires authentiques à défendre dans les années 70. Cette différence de traitement est au cœur des ressentiments de la droite néo-conservatrice contre une gauche qui n’a jamais su faire son autocritique historique.

Beaucoup de ces jeunes enseignants universitaires complétaient alors une maîtrise ou un doctorat. Ils pouvaient organiser un département universitaire en quelques semaines, roder quelques cours d’introduction et d’analyse, imbus d’idéologies à la mode, en particulier le marxisme-léninisme, le trotskysme et l’indépendantisme qui nageaient alors dans le courant de l’Histoire. En général, ils furent des chercheurs médiocres, suivant des know-how transposés de France ou des États-Unis. Il y en avait certes de très compétents, mais dans l’ensemble les meilleures compétences donneront plus souvent des médiocrités plutôt que de l’excellence. C’est la fameuse courbe de Pareto. Avec les années, cette génération que la rareté avait installée dans des chaires professorales se considéra comme «fondatrice», et par le fait même, elle ne tenait pas à être remplacée. Avec le temps, elle devint une gérontocratie qui sélectionna ses disciples, ses successeurs, en fonction de leurs capacités limitées. Il s’agissait de maintenir intact un esprit et une méthodologie à ne pas dépasser. Comme le marxisme, l’histoire sociale, l’histoire du mouvement ouvrier, l’histoire de la condition féminine (féministe) s’étiolèrent, se spécialisèrent, les départements n’avaient pas assez de personnel pour couvrir tous ce que la clientèle étudiante (expression créée entre temps) désirait «acheter» : l’histoire de l’homosexualité (jusqu’au transgenre?), l’histoire des animaux, l’histoire culturelle où l’on peut aussi bien parler de la culture ouvrière que de l’histoire culinaire, etc. Cet éclatement est bien un lointain produit de la Révolution tranquille et de ses valeurs de gauche, mais il a servi davantage à créer un fossé où les étudiants sont sortis par la droite, insatisfaits de cette formation tout azimuts mais sans débouchés.

C’est elle maintenant qui entend prendre le contrôle. À l’éclatement généralisé, elle veut retourner au sens de l’unité, duquel aucune historiographie ne devrait jamais se départir, quel que soit son choix idéologique. Voilà pourquoi la nation reprend son vieux rôle groulxiste d’être «ce qui sépare le moins les Québécois entre eux», voire les Canadiens Français du continent. Que l’on parle du crucifix de l’Assemblée nationale ou du code de vie d’Hérouxville, tout cela n’est que broutilles qui cachent l’essentiel. Ces gens ne peuvent reconstruire un Canada Français qu’ils n’ont pas connu, qu’ils ont idéalisé à travers des études, des romans, des films ou des séries télé. Ils sont en quête d’une métaphysique qui, formulée dans le jargon post-moderne, les hisserait comme de nouveaux prêtres, parlant un latin «technocratique», d’une ecclesia moins soumise à la liberté individuelle (la haine de la désobéissance civile) qu’à une démocratie (en fait, une démagogie qui exprime la tyrannie de la majorité), que les comportements standardisés rendraient aussi possibles que les anciens rites catholiques romains. En ce sens, la gauche, dépouillée de son marxisme-léninisme, de ses syndicats militants, de ses organisations communautaires qui ont appris à vivre sans elle, de sa culture libertaire, de ses mœurs désinhibées, ne sait comment se restructurer. Ayant tout sacrifié à une morale du Parti qui n’a pas survécu à l’écroulement du Mur de Berlin, il ne lui reste plus qu’une «technocratie» constituée de sociologues, de politologues, d’historiens (fragmentés), de religiologues, de sexologues et autres lologues formés de gens dont les compétences sont encore plus discutables que celles de leurs maîtres. Cette déchéance d’institutions improvisées amène aujourd’hui la production de thèses coûteuses et sans résultats effectifs ou pratiques : leurs producteurs s’attaquant à des problématiques mal cernées ou servant de «nègres» aux enseignants établis qui produisent des quantités incroyables d’articles que personne - pas même eux - ne lit. Nous nous retrouvons donc avec des singes faisant de mauvaises grimaces, essayant d’imiter les grands intellectuels français ou américains, mais nul de suffisamment qualifié pour relever le sérieux intellectuel du personnel universitaire québécois (du moins en sciences humaines), sinon peut-être quelques étoiles filantes, ici et là, mais pas assez pour créer une authentique génération intellectuelle.

Les «intellectuels organiques» de Gramsci deviennent, pour Piotte, les «intellectuels publics» de la nouvelle droite. «Kelly, comme son confrère Bédard, défend plutôt une vision par laquelle les “intellectuels publics” sont ceux qui contournent la sanction scientifique pour faire le pont entre eux, les maîtres de sens et le peuple. Or, sous couvert de protéger ce “lien précieux", cet excès de populisme anti-universitaire dissimule en fait un élitisme intégral dans les textes de Kelly d’où est absent le peuple en chair et en os. Les peuples et les nations étant créés par la vision fondatrice de l’élite, on comprend que Kelly regrette la perte de ce rôle des “intellectuels publics” causée par le développement des sciences sociales qui se limiteraient au “comment”» (p. 139). Or si ce que nous venons de dire est juste, que la «génération fondatrice» était en fait déjà incomplète dans sa formation, incompétente avec la permanence inamovible d’emploi, sclérosée à la fin de sa carrière, il est certain que la «sensibilité» à un manque de guides intellectuels s’est imposée comme il se devait et pour l’ensemble du monde intellectuel. Les intellectuels de gauche, incapables de se renouveler au-delà du marxisme, furent en fait les premières victimes de cette incomplétude générationnelle. Ils ont été les premiers à retourner au nationalisme, aux socialismes utopiques ou même au christianisme, quand ils n'ont pas été entièrement séduits par la nouvelle technologie informatique. Restait la séduction des systèmes D (une thèse bâclée appelle un comité de lecture dont les yeux louches et le diplôme est accordé comme «produit acheté»). Ne reste plus qu’à prononcer la commedia e finita et encaisser le chèque de paie!

CONCLUSION

Certes, les solutions Bédard ou Kelly, pour s’en tenir à l’historiographie, sont sans lendemain. Paradoxalement, ce n’est pas le nationalisme québécois et conservateur qui met à profit le sort des Réformistes d’Éric Bédard, mais l’ex-prince consort, John Saul, avec son Louis-Hippolyte LaFontaine et Robert Baldwin (Boréal, 2010). Parmi les quatre personnes à qui Saul dédie son opuscule se retrouve Éric Bédard, mais le livre de Kelly n’y est pas cité en bibliographie. Préférant la vieille métaphysique chrétienne à l’inconscient collectif, nos petits cuistres sont certains que si Dieu existe, l’inconscient, lui, n’existe pas et les collectivités, pour autant qu’elles peuvent souffrir comme les individus - la tragédie de l’angryphone Bain qui a tué un employé du Métropolis le soir de l’élection de Pauline Marois à la tête de la Province de Québec en est un autre exemple - n’ont pas besoin de «thérapies». Pourtant, combien de  dissimulations et de ressentiments peuvent motiver des efforts de recherches, de critiques, mais aussi de souvenirs-écrans chargés de brouiller ce qui vient d’être exposé? Il est paradoxal, sinon absurde, et après tout peut-être pas, que Kelly et Bédard aient choisi de livrer leur combat idéologique sur la période 1840-1867, eux qui en sont tant venus à condamner la Révolution tranquille, alors que, portant sur la période 1837-1850, Jacques Monet avait déjà publié sa thèse, en 1981, intitulée comme par hasard (!) : La première révolution tranquille (Fides)⌛
Montréal
11 septembre 2012

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