dimanche 20 janvier 2013

La Schize X (1ère partie) Propriétaire-Citoyen



LA SCHIZE X

PROPRIÉTAIRE-CITOYEN-HOMME-MACHINE-SUJET KANTIEN
1ère partie : la schize propriétaire-citoyen

Ce texte est un extrait d'un ouvrage à paraître, La tourmente révolutionnaire, dans la série «Testament de l'Occident».

INTRODUCTION

Dans un récent message, nous avons analysé la forclusion actuelle de la civilisation occidentale. Ce texte en est à la fois la suite logique, mais également la source. Si la forclusion appartient à la psychose occidentale, celle-ci ne s’est développée que tout récemment, dans le processus de désagrégation qui s’accélère avec l’accumulation des contradictions entre les signifiants déniés et les délires qui sont sensés leur donner corps. Le signifié profond demeure : l’échec de la civilisation occidentale à réaliser l’aspiration bourgeoise de la liberté et de la richesse pour tous. Ces contradictions, tant vue sous l’angle de la part des minorités dominantes que sous l’angle vu par les critiques et les oppositions, sont issues d’un schéma complexe de psychologie collective élaboré à la suite de deux des révolutions bourgeoises majeures de l’histoire occidentale. La première avec la Révolution française, la seconde avec la Révolution industrielle. L’évolution des XIXe et XXe siècles n’a fait qu’entrecroiser les deux schizes, comme sous la forme d’un «X» autour duquel il est possible de disposer l’ensemble de toutes les idéologies qui sont nées depuis deux siècles, qu’elles soient qualifiées de droite ou de gauche. La schize X est essentiellement une schize ontologique, c’est-à-dire qu’elle affecte la qualité de l’Être occidental, à la fois comme individu et comme civilisation. Elle nous affecte individuellement et collectivement dans la mesure où nous la portons à la fois dans notre Psyché et dans notre Socius. Nous la souffrons comme nous souffrons d’une vie inaccomplie, inachevée, mutilée et triste.

LA PREMIÈRE SCHIZE : DU PROPRIÉTAIRE AU CITOYEN

Le propriétaire et le citoyen polarisent les crises de la contemporanéïté occidentale. Entre le propriétaire qui se réalise (ou sommeille comme désir de propriétés) et le citoyen qui est habité par les grands idéaux que véhicule la conscience sociale, il y a en chacun de nous, à la fois des contraintes et des aspirations qui sont l’enjeu de nos sentiments gyrovagues, insaisissables, lunatiques, erratiques; reflets de la schizoïdie conflictuelle où, comme dans un jeu de miroirs réfléchissants, de l’individualité personnelle à l’individualité collective, flottent des mythes et des valeurs inouïes.

A) LE PROPRIÉTAIRE

1) L'anthropologie du propriétaire

Première figure ontologique de l’individu, le propriétaire. Il s’agit de corriger d’abord - et surtout - une erreur commise par André Vachet qui donne comme sous-titre à son brillant essai sur le libéralisme: l’individu et sa propriété. Non, l’individu est sa propriété. Nous ne sommes pas dans un rapport dialogique mais un rapport d'identité. C’est un nouvel équivalent à la maxime cartésienne : Je suis ce que j’ai. La propriété, de dépassement, de prolongement, devient le substitut, l’égal du corps, le même, l’identique. LE corps. Ou, encore, le corps de l’individu se subsume en propriété. La prostitution, dans la société bourgeoise, devient intolérable, contrairement aux temps médiévaux, car elle dénonce l’inavouable du salariat : l’assimilation des propriétés ontologiques du corps à une propriété économique lancée dans le marché. La prostitution devient le tribut que la propriété rend au refoulement répressif du corps dans le mode de production capitaliste.

Faire l’ontologie de cette identification nous ramène en plein Siècle des Lumières. Il faut distinguer l’anthropologie du phénomène de sa prise de conscience. On peut, bien sûr, jouer sur les mots, constater que le droit de propriété, s’il semble être de toutes les civilisations, n’est pas de toutes les cultures; qu’il y a les peuples dévorés par l’instinct de propriété et ceux qui se contentent d’une stricte possession opportune; que du nomadisme à la sédentarisation, il y va de la possession à la propriété, etc. On peut considérer que tout, dans l’Empire, est la propriété du despote, ou que la propriété de la cité antique prolonge non pas le corps de l’individu, mais s’identifie au rayonnement de la gens, comme à Rome ou dans la société féodale, quand la propriété terrienne, domaniale, relevait des familles seigneuriales et de leurs liens de vassalité.
Gérard Depardiewski
Plus que par ses meurtres d’enfants, Gilles de Rais paya de sa vie cette transgression insupportable du droit féodal de voir un individu dilapider le patrimoine familial. À partir de ce même principe, il était impossible à un roi de se départir de son royaume alors que jadis l’Empire romain avait été vendu aux enchères! La Révolution française est une révolution bourgeoise, car elle instaure cette nouvelle identification de la propriété au corps de l’individu, ce qui fonde non pas tant une nouvelle société ou un nouveau mode de production économique, qui triomphait déjà dans la France de l’Ancien Régime, qu’une nouvelle ontologie de l’être qui n’est plus jumelée avec un avoir, un patrimoine (cet objet est à moi, sujet), mais où l’avoir est fondu dans l’être (je suis ce que j’ai): «C. B. Macpherson a démontré comment dans l’épistémologie et l’anthropologie du XVIIe et du XVIIIe siècle se produisit l’universalisation de la catégorie de l’avoir qui aboutit à ce qu’il appelle l’individualisme possessif. L’individu est considéré comme libre dans la mesure où ses facultés lui appartiennent. Il est personne dans la mesure où il possède les images, les idées, etc., et enrichit ses impressions, ses connaissances, etc». (1) Si je n’ai rien, je suis rien.

Pour en arriver à cette fusion ontologique de l’être dans l’avoir - car nous verrons qu’il y va moins de la fusion de l’avoir dans l’être que l’inverse -, il a fallu réifier l’être à sa dimension purement existentielle : son corps, et réduire ce corps à l’état ontique : une machinerie sans transcendance. L’âge baroque, avec son goût pour la mécanique et la machinerie, a opéré cette réduction préalable : La Mettrie, Sade, ne font que tirer les conclusions émises à partir de l’animal machine de Descartes déplacées sur l’animal humain : «L’homme, au moins par son corps, est  une machine, et Voltaire écrit que “le physique gouverne toujours le moral”». (2) Tout corps a des propriétés, c’est-à-dire des qualités intrinsèques propres. Le sens métaphorique peut devenir ce qu’il y a de plus concret lorsqu’il s’agit de qualifier le corps-machine : les parties de la mécanique, ses prolongements en «bras», roues, tuyaux, cheminées, etc. L’homme machine se voit doté d’une tête automatique, de membres ajustés à des fonctions, de machineries internes à combustion lente, avec déjections, enfin apte à l’auto-reproduction, ce qui reste encore la spécificité indépassable de la machinerie animale. Toute la Révolution industrielle va s’élaborer à partir de cette métaphore mécaniciste où le passage de l’homme à la machine se renversera en celui du passage de la machine à l’homme. De ceci, nous reparlerons plus en détail dans la seconde partie de cet essai.

Car ne nous gourons pas de révolution. Il y a encore du temps qui nous sépare des grandes fonderies anglaises ou allemandes du milieu du XIXe siècle. Le corps-machine renvoie, dès le XVIIe siècle, à l’État léviathan de Hobbes. Dans le contexte de la Révolution anglaise, celle qui conduisit Charles Ier sous la hache du bourreau, le groupe des Levellers, des Niveleurs, se dressait pour revendiquer une égalité des richesses. Était-ce déjà du socialisme? En tout cas, le manifeste de l’un des leurs, Overton, An Arrow against all tyrants (1646), faisait le promotion de l’individualisme beaucoup plus que du collectivisme. On peut y lire, en effet: «À tout individu vivant ici-bas est naturellement donné une propriété individuelle que personne n’a le droit de violer ou d’usurper : car ce qui fait que je suis moi, c’est que je suis propriétaire de ce moi, autrement, n’ayant pas de moi, je ne serais pas moi (…) Personne n’a de pouvoir sur mes droits et sur mes libertés, je n’ai pouvoir sur les droits et les libertés de personne. Je n’ai d’autre droit que d’être l’individu que je suis et de jouir de ma vie qui est ma propriété (…) C’est donc ainsi qu’il nous faut vivre, chacun jouissant également de son droit et privilège de naissance, y compris tous ceux dont Dieu, par nature, nous a rendus indépendants…« (3) On y retrouve l’importance accordée à l’indépendance, l’association des droits de l’individu et de sa liberté, mais surtout l’interdit du viol de la propriété individuelle. À l’objet qui est en ma possession, le Niveleur associe la profanation qu’on ferait à mon intégrité physique. Violer la propriété individuelle, c’est déjà violer le corps de l’individu propriétaire. Le viol établit un rapport négatif à cette autre propriété du corps, la faculté d’en jouir, d’y puiser son bonheur. Viol et jouissance, cette antithèse sexuelle, se trouvait déplacée dans les propriétés de… la propriété. Pour un physiocrate, ces idéologues de l’économie libérale associés au mouvement des Lumières et dont le chef de file, Quesnay, était médecin, l’assimilation de la jouissance physiologique et de la jouissance de la propriété est chose faite : «“Notre bonheur ou notre malheur n’existe que dans nos sensations agréables ou désagréables. C’est donc dans les sensations que consiste, dans l’ordre naturel, tout l’intérêt qui forme nos volontés.” Quesnay précise encore : “En sorte qu’il y a une correspondance certaine entre les corps et les sensations qu’ils nous procurent, entre nos sensations et les divers effets que les corps peuvent opérer les uns sur les autres, et entre les sensations présentes et les sensations qui peuvent naître en nous par tous les différents mouvements et les différents effets des corps : d’où résultent une évidence et une certitude de connaissance à laquelle nous ne pouvons nous refuser, et par laquelle nous sommes continuellement instruits de sensations agréables que nous pouvons nous procurer, et des sensations désagréables que nous voulons éviter. C’est dans cette correspondance que consistent, dans l’ordre naturel, les règles de notre conduite, nos intérêts, notre science, notre bonheur, notre malheur, et les motifs qui forment et dirigent nos volontés”». (4) Pour ces économistes, l’expérience de la propriété est donc à mettre au compte des sensations que peut éprouver le corps-machine, et cette sensation, qui est la jouissance sensuelle pour l’individu, devient l’idée de bonheur lorsqu’il s’agit de la propriété : «Dans cette perspective, il est juste d’affirmer comme le fait Mercier de La Rivière que “le droit de propriété n’est autre que le droit de jouir”, qui traduit l’instinct de conservation et de bonheur. C’est ce lien avec les formes primitives de l’homme, pour mieux dire, cette identification avec les énergies premières de l’être humain, qui justifie les Physiocrates à faire de l’instinct de propriété la loi première de l’ordre naturel, et des droits qui l’exprime, la clef de tout droit et de tout devoir, et le principe ordinateur des rapports interpersonnels comme des structures institutionnelles des sociétés humaines». (5) Aussi, «la maxime physiocratique : le changement ne peut venir que des propriétaires, “hommes sensés” et “zélés citoyens”» (6), invitait déjà les propriétaires à s’engager dans la voie réformiste. Disons-le tout de suite, mais sans trop s’étendre : la poursuite du bonheur de la Déclaration d’Indépendance américaine, c’est cet appétit de propriétés mu par cet instinct qui relève de cette loi première de l’ordre naturel. L’appétit gastronomique, l’appétit du confort et du bien-être reposant, l’appétit sexuel, l’appétit d’enfants, tous ces appétits se poursuivent dans l’appétit des biens, l’appétit des possessions, enfin l’appétit des propriétés. Et, c’est connu, tous les hommes n’ont pas un appétit identique.

D’où l’inégalité qui devient un constat évident. Mirabeau, le père du tribun rebelle, qu’on appelait l’Ami du genre humain, critiquant un ouvrage de Morellet, affirme: «L’inégalité des fortunes est dans la nature, comme celle de la taille, des forces, de la santé, etc. Elle est et sera donc toujours entre deux hommes et produira celle de leurs fortunes. En raison de ce que la société s’étend, les accidents pour et contre se multiplient, d’où suit que cette inégalité devient immense. Et loin que ce soit un vice destructeur des sociétés, c’est au contraire un état naturel et prospère de la société, qui n’est instituée que pour protéger et défendre ces dispositions élémentaires». (7) Mirabeau père adhérait au courant de la physiocratie, quoi d’étonnant à ce que l’inégalité naturelle des propriétés des corps se retrouve entre la propriété des biens? Mais, c’est surtout l’obsession de la possession qui anime ces esprits férus de marché et de consommation. Jacques Attali distingue qu’«avoir la possession de quelque chose, c’est, en général, exclure les autres de son usage; pour l’user, la détruire, la faire produire ou l’abandonner. C’est la forme extrême de l’influence qu’on peut avoir sur une chose. Avoir la propriété de quelque chose, c’est en avoir la possession légitime selon les règles admises par le groupe au sein duquel on se trouve. C’est, sans être contesté par les autres, pouvoir l’utiliser à sa guise, l’aliéner ou garder ce qu’elle produit». (8) C’est ce dont il s’agit d’établir en liaison avec une définition de l’homme qui certifie la légitimé de la possession. Chez Turgot, le Ministre de Louis XVI entouré de physiocrates, il apparaît que toute possession est légitimée si elle suscite des sensations dans l’être du possesseur : «Remonter aux premiers principes de la possession; examiner les premiers rapports des objets de la nature avec nous, par lesquels ils excitent nos désirs et nos craintes. Ils satisfont à nos besoins, ils deviennent la source commune où nous puisons tour à tour le plaisir et la douleur. (Il faut) montrer comment l’idée de jouissance a fait naître l’idée de possession…» (9) Plaisir et douleur investissent bien sûr un champ de signifiés à la propriété que, comme on l’a vu, l’idée de bonheur résume dans un concept abstrait. Le bonheur, c’est généralement d’heureuses sensations produites par un état de bien-être (de biens-être) que procure la possession… d’abord de son corps.

Ce thème, dès la fin du XVIIe siècle, commençait à envahir la réflexion occidentale. Ici, de l’anatomie et de la psychologie, nous passons au droit. Pour John Locke (1632-1704), l’idéologue de la Glorious Revolution de 1688, «la propriété privée - la property - est constituée par l’ensemble des droits des individus. “Par propriété, écrit-il en 1690 dans son Traité sur le gouvernement civil, il faut entendre le droit propre que les hommes ont sur leur personne tout autant que sur leurs biens…” Il précise ailleurs : “leurs vies, leurs libertés et leurs biens, ce que je nomme de façon générale propriété”. Or, il démontre logiquement que cette propriété est un fait de nature. Dans l’Essai philosophique concernant l’entendement humain, publié la même année, il montre en effet que tout peut faire légitimement l’objet d’une appropriation privée». (10) A. Guery dira ici que «le droit de Dieu sur sa création se transforme en droit pour l’homme de s’approprier ce qu’il trouve». (11) Le propriétaire prend la place du «Fils de Dieu» et place l’individu dans la case chrétienne du Créateur dont les biens sont les créatures qui le magnifient. La Nature, le corps, la propriété sont mis à contribution pour créer une ontologie nouvelle de l’homme, ce que Marx saisissait assez bien dans L’idéologie allemande : «La première présupposition de toute l’histoire des hommes, c’est naturellement l’existence d’individus humains vivants. Le premier état de choses à constater, c’est dans l’organisation corporelle de ces individus et le rapport où cela les met avec toute la nature». (12)

Quoi qu’il en soit, le thème lancé par Locke va préoccuper les esprits jusqu’aux grandes révolutions de la fin du XVIIIe siècle. La propriété s’ancre profondément dans la nature de l’homme et de ce droit soi-disant inaliénable émerge tout le tissu de la société. Selon Locke : «Toutes les fois qu’il (l’homme) fait sortir un objet de l’état où la nature l’a mis et l’a laissé, il y mêle son travail, il y joint quelque chose qui lui appartient et, de ce fait, il se l’approprie.” Or, cette idée que le travail du corps humain entraîne, comme par contagion, l’appropriation légitime et exclusive de l’objet travaillé, repose sur une conception tout à fait juridique de la corporalité. Pour que, par son travail, l’individu fasse “de la chose jusque-là commune une chose sienne, une propriété”, ce travail doit apparaître en effet comme “l’expression de sa personne même dont il est naturellement propriétaire”, dit Pierre Manent : le corps est donc défini, dès l’état de nature, et antérieurement à toute élaboration juridique de la notion de propriété, comme un objet naturellement possédé par l’individu». (13) Les Constitutions ultérieures, celle des États-Unis de 1787 mais surtout celles de la France viseront à inscrire dans le nouveau contrat social cette protection de la propriété jointe à l’intégrité physique et morale de l’individu; comme son prolongement naturel, selon la conception sur laquelle Locke basait sa théorie du travail comme propriété de l’homme. C’est l’homme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le propriétaire sera le notable du nouveau régime comme le seigneur était le noble de l’ancien: «Propriétaire : le mot est d’un emploi général : c’est, dans le vocabulaire social, la grande nouveauté issue de la Révolution. Propriétaire: le rentier du sol qu’il soit bourgeois ou ci-devant, catégorie sociale dominante». (14) Les tribuns de la Révolution n’avaient pas une vision encore bien définie de la propriété au moment où la Bastille fut prise d’assaut. Pour Brissot, par exemple, «“le droit de propriété, que la nature accorde aux hommes, n’est restreint par aucune borne que celle du besoin satisfait; il s’étend sur tout et à tous les êtres”. Le premier, il fait l’apologie du vol en cas de famine, mais comme une exception à la règle de respect de la propriété privée : “Non pas que je prétende conclure là qu’il faille autoriser le vol et ne pas respecter les lois sur la propriété civile… Sans doute il faut que celui qui a travaillé jouisse du fruit de son travail. Sans cette faveur attachée à la culture, point de denrées, point de richesse, point de commerce. Défendons, protégeons la propriété civile…”» (15) Brissot est encore dans l’esprit conservateur des Commentaires de Blackstone, qui affirmaient que «Le respect de la loi pour la propriété privée est si grand qu’elle n’en supportera pas la moindre violation; et ce même dans l’intérêt de l’ensemble de la communauté» (16), mais déjà chez lui pointent des scrupules. Marat, qui sera un temps le protecteur de Brissot, est plus radical encore: «Qui vole pour vivre, tant qu’il ne peut faire autrement, ne fait qu’user de ses droits […]. Loin d’être obligés d’en respecter les ordres [des oppresseurs], ils doivent, à main armée, revendiquer contre eux les droits sacrés de la nature». (17) C’est-à-dire, conserver son être, conserver son corps… Brissot et Marat rétablissent la prémisse majeure du corps sur la prémisse mineure de la propriété. La logique de nécessité qui lie ensemble corps et propriété participe de l’historicité de la Révolution-bloc en tant qu’elle assure le passage de la nature des choses à la force des choses qui sera au cœur de la question sociale de la Révolution, mais comme conscience morale qui couronne la conscience de soi, elle conduit à une ontologie du brigand : La propriété, c’est le vol, de Proudhon.

Voilà pourquoi ceux qui appellent au vol des oppresseurs protègent du même souffle la propriété des vertueux pères de famille. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 déclare la propriété un droit naturel imprescriptible (article 2), inviolable et sacré (article 17), et nul ne peut en être privé, si ce n’est par nécessité publique entérinée par une loi, et moyennant une indemnité préalable et juste (article 17). Cette première déclaration française restera un modèle pour les autres à venir. Entre-temps, la discussion amorcée par Brissot et Marat se poursuit. À mesure que la Révolution se radicalise sur sa gauche, l’idée de propriété entre en relativité. «Le 2 décembre 1792, Robespierre déclare à la tribune de la Convention : “La première loi sociale est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister; toutes les autres sont subordonnées à celle-là; la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes […]. Tout ce qui est indispensable pour conserver la vie est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonné à l’industrie des commerçants”». (18) La chute de la royauté oblige nos révolutionnaires à retoucher la Constitution de 1790. Au projet de Condorcet jugé par Louis Blanc de rationaliste et individualiste, on préfère celui des Montagnards supervisé par Hérault de Séchelles, ancien magistrat au Parlement et membre du Comité de Salut public, jugé plus sentimental et fraternel. Ici, l’article 8 déclare: «La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés». (19) Le soc de l’idée de propriété reste inentamé : «Dans l’État naturel, Locke considère que la seule propriété inaliénable est celle de la personne, pour la respecter et la conserver il est nécessaire que l’homme s’approprie les biens utiles à sa subsistance. L’article 19 de la Déclaration de 1793 est donc fidèle au philosophe anglais quand il affirme, pour la quatrième fois, le droit de chacun à la possession individuelle des biens». (20) Le fait que l’état de guerre exceptionnel dans lequel se trouve la France de 1793 force la suspension de la Constitution jusqu’au retour à la paix, autorise les manifestations populaires à réclamer la limitation du droit de propriété et de la justifier contre l’action anticivique des accapareurs et des spéculateurs sur les vivres, là où le discours rapporté de Robespierre renouvelait l’inaliénabilité de la propriété. Ainsi, «pour la pétition de la section des Sans-Culottes du 2 septembre 1793 : “la propriété n’a de base que l’étendue des besoins physiques”». (21) Les lendemains de la Terreur consacreront l’échec de cette pression populaire. Le soc de l’idée de propriété n’en sera que plus fortement reconfirmé, ainsi par Portalis (1746-1807) dans l’article «De la propriété» tiré de son Rapport devant le Corps législatif, 26 nivôse an XII - 17 janvier 1804 : «Le principe du droit de propriété est en nous; il n’est point le résultat d’une convention humaine ou d’une loi positive; il est dans la constitution même de notre être […]. C’est la propriété qui a fondé les sociétés humaines; c’est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre existence; c’est par elle que l’industrie de l’homme, cet esprit de mouvement et de ce qui anime tout, a été porté sur les eaux et a fait éclore sous les divers climats tous les germes de richesse et de puissance». (22) Le 21 mars suivant sera promulgué, dans le même esprit, le Code civil dit Code de Napoléon, où l’article 544 définira la propriété comme «le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements». Énoncé purement hypocrite puisque l’article 1716 du même code «prévoit que dans un conflit, la parole du propriétaire l’emporte sur celle du locataire». (23) Le code de l’Empereur consacrait donc la nouvelle idole de la civilisation occidentale : la propriété, et son célébrant, le propriétaire.

2) La sacralisation de la propriété

La propriété prolonge le corps et participe aux sensations physiologiques. Sa sacralisation par le droit lui donne ce surplus métaphysique qui oblige à prendre au sérieux son caractère inaliénable et inviolable. Au crime de lèse-majesté succède le crime de lèse-propriété dont le spectre de la loi agraire se dresse comme une menace pire que la Terreur: «Dans sa pétition du 25 juin [1793], Jacques Roux légitime la taxation des denrées de première nécessité par le droit à l’existence : “Les propriétés des fripons seraient-elles quelque chose de plus sacré que la vie de l’homme?» (24) demandait le curé rouge. Il pastichait ici la célèbre réplique de Barnave prononcée au lendemain du meurtre de l’intendant Berthier et de son gendre Foulon : «…ce sang était-il donc si pur?» C’était une apostrophe courageuse, car, «le 18 mars 1793, la Convention avait décrété, sans opposition, la peine de mort contre les partisans de la loi agraire» (25) preuve supplémentaire, s’il en fallait, que le spectre de la loi agraire inquiétait au plus haut point le propriétaire qui cohabitait avec le citoyen dans chaque député de la Convention. Fayau, un député de la Vendée, devait proposer, après le 9 thermidor «un partage des biens nationaux entre les paysans non propriétaires; il lui fut répondu que le fait que tous les citoyens soient propriétaires serait un véritable péril social, les besoins de l’industrie devant forcément en souffrir» (26). C’était déjà la création du travailleur-objet, celui dont la propriété est subvertie en marchandise, abandonné à l’arrogance du propriétaire, son huile de bras étant appelé à être complétée, puis évincée par la vapeur. Bref, toute cette hantise démoniaque de la moindre mesure sociale témoigne du degré d'«intouchabilité» qui avait investi la notion de propriété. Qu’était après tout, le corps de l’homme pour un proto-matérialiste ou un athée de la trempe du baron d’Holbach? Avant même la psychologie de Condillac, Locke ne reconnaissait-il pas qu’«il y a une âme, bien sûr, mais elle est vide; tout ce qui s’y trouve est donné par l’expérience, par l’intermédiaire des sens. Il n’y a rien dans l’esprit qui ne soit d’abord dans les sens». (27) En Allemagne, le philosophe Gottfried Wilhelm Leibniz écrivait en 1695 que l’âme est inséparablement liée à l’organisme dans lequel Dieu l’a placée. […] La pensée des Lumières, en affirmant l’unité du corps et de l’esprit, se refuse à considérer le corps comme un simple réceptacle inerte». (28) Parallèlement, et sans trop deviner la portée de ce geste, ces mêmes philosophes s’en prenaient aux institutions porteuses de «sacré», les Églises, bien sûr, mais le pouvoir aussi. Cette sacralité qui investit l’idée de propriété ne provient pas tant du vide spirituel de la religion que de l’usure des institutions d’Ancien Régime dont la sacralité quitte les vieilles outres pour venir en remplir une nouvelle, aux capacités apparemment incommensurables, tant elle lie l’individu et le marché social. Chaussinand-Nogaret note que «la première conséquence de la pensée des Lumières a été de séculariser le pouvoir, de couper l’ombilic qui l’accrochait aux cieux, et de le rendre aux hommes. Donc, avant tout, de le fragmenter, de le rendre divisible, et en même temps de redéfinir son objet, de diversifier ses compétences, et de préciser son ressort. Religieux, le pouvoir s’exerçait sur les âmes avant que sur les corps. Rendu à l’immanence, les âmes lui échappent, mais les corps deviennent l’objet privilégié de son exercice. En perdant sa fonction de législateur du divin, le pouvoir devient justiciable du tribunal des citoyens, et se voit assigner un rôle précis : être le gardien et le bienfaiteur des corps. Il doit assurer ici-bas le bonheur des hommes». (29) L’État ne fait pas le bonheur par lui-même, mais il le rend possible, précisément en assurant la sécurité de la propriété individuelle. Henri Guillemin s’étonne dans un de ses ultimes pamphlets, Silence aux pauvres!, qu’à la fin de la Déclaration des droits de 1789, «…et cela concerne la Propriété. Surgit là un adjectif inédit dans cette acception : la propriété, dit le texte, est inviolable… et sacrée. Un épithète jusqu’alors réservée aux choses de la religion». (30) Sacrée, la propriété? Bien sûr, et même sanctifiée. Toutes les contradictions et les contorsions pratiquées jadis par la religion vont bientôt se transmettre au droit. L’historien américain Edmund Morgan, en 1957, constate, à propos des arguments invoqués contre l’imposition par la Grande-Bretagne des produits de consommation, que «les protestations coloniales contre les impositions affirment franchement et ouvertement, voire avec passion, la sainteté de la propriété. La passion n’est pas la simple et laide avidité. aux yeux des Américains du XVIIIe siècle, propriété et liberté étaient inséparables, parce que la propriété était la seule fondation sur laquelle on sût appuyer la vie et la liberté. Sans propriété garantie, pensait-on, personne ne peut vivre libre ni éviter de tomber à la merci d’un autre». (31) La chose pouvait toujours aller quand il s’agissait de mélasse ou de thé, mais lorsqu’on en vint aux esclaves, le débat prit une tournure hautement explosive. En France, Barnave dut en faire les frais quand il se fit le porte-parole du club Massiac, constitué de colons antillais, et défendit le maintient de l’esclavage dans les colonies. Sans doute est-ce là le plus bel exemple de ce que nous entendons par le conflit ontologique élevé entre le citoyen et le propriétaire dans la dysfonction contemporaine : situé entre sa conception idéale de l’universalité des droits de l’homme et ses intérêts personnels liés à ceux des propriétaires coloniaux; cela finit par lui coûter sa réputation, sa crédibilité… et sa vie.

Car le transfert de sacralité veut bien dire que désormais, posséder c’est diriger. Possession et puissance deviennent corollaires du droit de propriété inscrit dans le prolongement du corps de l’individu. C’est lui qui hérite de l’absolutisme de l’État monarchique. Jaurès l’a bien saisi: «la possession, c’est presque le pouvoir, c’est en tout cas le règne de la maturité sociale. Les élections aux États généraux le prouvèrent. À Paris, on ne vota pas, comme dans les villes de province, par corporation, mais par quartier. Les artisans avaient donc la majorité dans les assemblées électorales, or ils étaient des bourgeois». (32) On comprend mieux la prise de position de Barnave à propos de l’esclavage lorsqu’on lit son traité posthume sur la Révolution et la Constitution et qu’il mentionne ces ouvriers, «tous sans propriété, la plupart sans patrie connue». (33) Qui n’a pas de propriété n’a pas droit à la puissance. Qui n’a pas de corps n’a pas de patrie. Déjà, «en 1764, combattant au Rhode Island le projet de droit du timbre, Stephen Hopkins avait déclaré que “ceux qui ne possédaient rien ne pouvaient être des hommes libres”». (34) Tous ceux qui ne sont pas propriétaire n’ont pas le sens de l’ordre, car leur appétit inassouvi de propriétés les rendent une menace pour ceux qui ont déjà la propriété. Lanjuinais, un rescapé des Girondins, insistait lors des discussions autour de la Constitution de l’an III, qui devait donner le régime du Directoire : «“Je le répète, établir que tous les hommes sont égaux en droits, c’est dire à tous : vous avez les mêmes facultés. Dès lors, celui qui n’a rien dira : je dois jouir des mêmes facultés que celui qui a quelque chose.” La propriété est bien la mesure des droits des citoyens. Pour éviter toute équivoque, les droits proclamés par la Déclaration de l’an III ne sont donc plus ceux de l’“homme”, droits naturels et imprescriptibles, mais ceux de l’“homme en société”, droits sinon précisément historiques comme ceux des Anglais, du moins inscrits dans un cadre social donné, la société bourgeoise issue de la Révolution…» (35) Parallèlement, un autre thermidorien, Boissy d’Anglais, affirmait dans un discours, le 21 ventôse an III - 4 mars 1795 : «Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois. Or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve, et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois qui fixent le sort de leur patrie. L’homme sans propriété, au contraire, a besoin d’un effort constant de vertu pour s’intéresser à l’ordre qui ne lui conserve rien et pour s’opposer aux mouvements qui lui donnent quelque espérance.” Et de conclure: “Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature”». (36) Il y a là, exprimé sur un autre ton, et dans une toute autre orientation idéologique, le thème sous-jacent de la force des choses qui prolonge, hors de l’état de nature, la nécessité de la propriété préalable au bonheur des individus et à l’aptitude à gouverner.

L’association possession/puissance ne fait pas que consacrer la propriété. Elle lui impose aussi une règle stricte à laquelle elle ne doit pas déroger. Les femmes propriétaires d’un fief pouvaient voter aux élections des candidats aux États généraux de janvier 1789. À peine un an plus tard, cette puissance leur est enlevée non comme un droit mais comme un privilège (22 décembre 1789). On ne veut plus de femmes actives selon la même logique qu’un individu sans propriété ne peut ni exercer son droit de vote ni briguer un siège à la législature : c’est la fameuse tergiversation autour du marc d’argent. Les esclaves, les femmes, les pauvres se voient peu à peu exclure des droits de l’homme, jugés comme sacrés. S’ils sont exclus de cette sacralité, c’est qu’ils ne sont pas des hommes (entendre des propriétaires), car sans propriété, ils ne sont que des objets, ce que le Code Napoléon confirmera dans la loi civile. Ils sont mutilés dans le sens où Freud emploie ce terme à propos du complexe de castration. Ils n’ont pas la possession de cet organe (viril) auquel s’identifie la propriété par sa faculté légalement reconnue de puissance. Ici encore, la métaphore sexuelle rend compte de l’impact du symbolique sur l’imaginaire ontologique. Quand un ennemi se déclare, on le mutile dans sa chair : on le décapite, on le fusille ou on le transperce de coups de piques, mais avant tout, on s’en prend à ses propriétés. La violence des patriotes américains exercée sur les Tories, c’est-à-dire les Loyalistes, s’en prit exclusivement aux biens, dépossédant les récalcitrants de leurs terres avant de les exiler hors des colonies rebelles : «Si les loyalistes, exception faite de ceux qui avaient pris les armes, sauvèrent presque tous leur vie, ils perdirent souvent leurs biens. Les chefs patriotes pensaient que les dépenses de la guerre pouvaient être, du moins en partie, réglées par la saisie et la vente de leurs terres, maisons, esclaves, troupeaux, boutiques et marchandises; et tous ces biens attisaient la convoitise des Américains qui voulaient se les approprier. Saisies et ventes devinrent monnaie courante. Les trésors des États en profitèrent ainsi que de nombreux patriotes civils; certains habiles et sans scrupules, firent de splendides affaires. La valeur des biens saisis aux Tories ne peut être estimée avec précision, mais elle atteignit plusieurs millions de livres». (37) La nationalisation des biens du clergé, la saisie des biens des émigrés en 1793, procédèrent en France d’un même urgent besoin de numéraire tout en opérant un fantasme identique de mutilation. L’ablation de la propriété renvoie à la castration politique de la noblesse et du clergé. Ainsi, le pouvoir ne dissimulera aucune puissance occulte, et ne dilapidera plus les richesses de la nation.

Taine avait donc raison lorsqu’il définissait la Révolution comme une translation des propriétés, mais il ne soupçonnait pas la profondeur des conséquences entraînées par le transfert des fantasmes. Il ne voyait que ce qui l’obsédait : le morcellement du territoire et l’atomisation des individus. Michelet, avant lui, avait observé ce même transfert, mais il le situait seulement au niveau de l’ascension sociale : «Tout ceci avait deux aspects : c’était le peuple d’une part, et ce n’était pas le peuple; c’était, si l’on veut, le peuple industriel, laborieux, passé récemment, par ses efforts et son travail, à l’état de petite bourgeoisie. La transition était visible…» (38) Soboul, un siècle plus tard, reprend la même observation en lui mettant un visage, un nom; celui de Duplay, le logeur de Robespierre. Travailleur laborieux devenu petit patron d’entreprise, Maurice Duplay a le sens de l’hégémonisation sociale pour tenir à distance ses employés de son entourage domestique. Chez les Duplay aussi l’espace privé s’est retiré de l’espace publique. Mais en plus d’être entrepreneur, Duplay devient fonctionnaire de la République. Le sans-culotte ne se satisfait pas de cette ascension permise par la nouvelle ontologie des droits de l’homme : il veut en plus, il veut en conséquence, être citoyen. Il veut se conformer à la philosophie de Rousseau puisque, en tant que propriétaire, qui était la réalité objective de la condition de Duplay, on ne l’abordait pas selon sa réalité subjective, en tant que citoyen Duplay: «L’erreur de Rousseau a été de considérer le citoyen et pas assez le propriétaire. […] Dans le monde moderne l’homme privé, le propriétaire, le bourgeois ont pris trop d’importance pour être en même temps citoyen. C’est pourquoi l’universel et le singulier s’opposent dans la réalité au lieu de se confondre harmonieusement comme dans le monde antique. Dès lors le gouvernement n’est plus l’expression de tous, il apparaît comme ayant une existence indépendante…» (39)

La Révolution américaine a été la première à donner au titre de citoyen l’ampleur qu’il devait prendre en France quinze ans plus tard. La contestation des impôts et de la politique mercantiliste métropolitaine qui heurtaient la personne du propriétaire dans l’individu, amena les colons à investir dans l’abstraction civile et juridique de citoyenneté une réalité politique capable à la fois de légitimer l’action rebelle et de légaliser ses normes insurrectionnelles. L’ultimatum adressé au Parlement anglais de Londres énonçait No taxation without representation, qui veut dire que propriétaires, ils se veulent citoyens. À la personnalité économique et sociale, ils veulent y ajouter les fonctions publiques, politiques et juridiques, capables de protéger les biens de chacun contre les mesures arbitraires ou les décisions d’un gouvernement auquel ils ne participent pas. Hamilton et Madison reprendront ces arguments à travers quatre-vingt-cinq articles publiés entre le 27 octobre 1787 et le 15 août 1788 défendant leur projet de Constitution nationale : les fameux Federalist Papers. «“La propriété privée y est présentée comme garante et moteur de la liberté; le droit ne sert qu’à faire respecter les règles de la propriété privée et de sa circulation sur le marché”. […] Dans la dixième, Madison explique que le libre marché est la condition de la démocratie : “Pour éviter les conflits politiques, il faut concentrer l’énergie des citoyens vers le commerce”. […] Madison précisera : “Ce n’est pas un gouvernement juste, et la propriété n’est pas garantie si des monopoles peuvent refuser aux citoyens l’usage libre de leur faculté et le libre choix de leur métier, qui constituent leurs propriétés au sens le plus large du mot, ou qui sont leurs moyens d’acquérir de la propriété”». (40) C’était bien là ce que Jefferson entendait par la poursuite du bonheur dans la Déclaration d’Indépendance. Le citoyen protège le propriétaire, mais c’est le propriétaire qui assure le bonheur du citoyen. L’harmonie entre les deux ontologies de l’individu serait sans doute idéale si la compétition pour le contrôle des marchés et les revendications des non-possédants ne venaient pas détourner l’attention des législateurs. Plutôt que de penser que la propriété privée est un état accessoire au progrès et à la justice sociale, il faut se rendre à l’évidence qu’il n’en est rien et que c’est bien le citoyen qui est l’ontologie contingente de l’individu. Sa sauvegarde est illusoire, sa fonction accessoire. Lui, dont le titre fut imposé à la Déclaration française d’août 1789, connut ses belles heures au cours de la Terreur et, par l’action d’activistes radicaux tels Jacques Roux, Leclerc, Babeuf et Buonarroti, avant de se voir balayé et effacé après Thermidor, et surtout sous le Directoire. Oui, la propriété pouvait survivre et l’individu était pleinement Sujet sans que le citoyen en lui manifeste sa souveraineté. Qu’en avait-il besoin puisqu’il pouvait acheter la puissance par sa richesse! C’est là ce grand changement que Michelet rapporte quelques temps après la chute de Robespierre : «Par une prévision de mourant, on peut le croire encore, [Robespierre] eut comme un sens amer de la réaction qui venait, de l’éternel roc de Sisyphe que roule la France, et crut qu’à partir de ce jour, on ne pouvait dire : Citoyen. […] Peu de jours après Thermidor, un homme, qui vit encore et qui avait alors dix ans, fut mené par ses parents au théâtre, et à la sortie admira la longue file de voitures brillantes qui, pour la première fois, frappaient ses yeux. Des gens en veste, chapeau bas, disaient aux spectateurs sortants: “Faut-il une voiture, mon maître?” L’enfant ne comprit pas trop ces termes nouveaux. Il se les fit expliquer, et on lui dit seulement qu’il y avait eu un grand changement par la mort de Robespierre». (41)

B) LE CITOYEN

Seconde figure ontologique de l’individu, le citoyen. Pour les philosophes des Lumières, il est le double de la première figure, le double du propriétaire : «Dans l’Encyclopédie, d’Holbach écrit que “c’est la propriété qui fait le citoyen; tout homme qui possède dans l’État, est intéressé au bien de l’État, et quel que soit le rang que des conventions particulières lui assignent, c’est toujours comme propriétaire, c’est en raison de ses possessions qu’il doit parler, ou qu’il acquiert le droit de se faire représenter». (42) Ce double a pourtant sa vie propre, d’où l’origine du drame qui brise l’unité psychologique, car il transforme parfois son appui en opposition - souvent virulente - au propriétaire. Beaucoup plus que le propriétaire d’ailleurs, le citoyen est le héros idéal des philosophes. Autant l’intérêt particulier semble habiter le propriétaire, autant l’idéal du citoyen est altruiste et se rattache à la volonté générale dont parle Rousseau. D’elle dépend véritablement l’ontologie du citoyen dans l’individu : voilà pourquoi on peut reprocher à Rousseau, mais il n’est pas le seul comme nous allons le voir, d’avoir négligé la figure du propriétaire pour tout centrer sur celle du citoyen.

Le citoyen se veut le zoon politikon de la société contemporaine, comme le noble l’était dans la société féodale et le Roi sous la monarchie absolue. La Révolution va donner un corps au citoyen, celui du propriétaire, et là où l’absolutisme comme projet d’État universel avait échoué à créer une
Duquesnoy se suicide après sa condamnation, 1795
niche politique pour l’individu, en inventant la citoyenneté, elle va fournir à la tentative napoléonienne une base de ralliement et d’adhésion au régime impérial. Désormais modifié, «le mot “citoyen” est redéfini, désignant un participant du pouvoir législatif, et plus seulement l’habitant d’une ville». (43) C’est cette participation au pouvoir législatif qui lie le personnage du citoyen à celui du propriétaire : «…comme le déclarait le député Duquesnoy: “Il n’y a de vrais citoyens que les propriétaires”». (44) Dans l’individu, il est la voix de la conscience sociale comme le propriétaire est celle de la conscience de soi. Pour Kant, qui suit en cela Rousseau, c’est comme si la nature «avait attaché plus d’importance chez l’homme à l’estime raisonnable de soi qu’au bien-être». (45) Un rapide survol de la Révolution démontre vite le contraire. Quoi qu’il en soit, comme le souligne Paul-Laurent Assoun, «On fait une distinction entre les “droits de l’homme” et les “droits du citoyen”. Quel est cet “homme” distinct du citoyen? Personne d’autre que le membre de la société bourgeoise.” La conjonction révèle ici le clivage générique de la pensée bourgeoise entre le Sujet humain, doté de prérogatives abstraites de l’universel et le sujet concret, en son enracinement social». (46) Mais ne peut-on pas considérer plutôt le Sujet humain, dont les prérogatives abstraites de l’universel sont ce souci que chacun porte à lui-même et à son bien-être, ce qui le ramène à la nécessité de la propriété, comme s’accordant d’avantage avec la réalité objective, autant que l’enracinement social l’attire à assumer, mais sur le mode strictement occasionnelle sa fonction politique de citoyen? «Cette dichotomie, Marx l’a exprimée autrement en parlant de l’opposition nouvelle du Ciel et de la Terre, qui correspond à la sphère de l’État et du citoyen et de la sphère de la société et de l’Homme, jamais reliées, et pourtant solidaires. C’est ce double abîme qu’il s’agit de combler». (47) Grœthuysen, analysant Rousseau, reprend à son tour cette dichotomie de Marx : «Ce qui fait le malheur de l’humanité, c’est cette opposition entre nos devoirs et nos penchants, entre la nature et les institutions sociales, entre l’homme et le citoyen. L’homme ne peut se dédoubler : il faut qu’il vive ou bien pour lui--même ou bien pour l’État. S’il se partage entre les deux, il sera toujours en conflit avec lui-même, toujours déchiré intérieurement. Mais pour vivre dans l’ordre social, il faut une tout autre attitude morale. Dans l’ordre naturel, l’homme vivait pour lui-même; il vivait de la vie de son âme; il était bon sans le savoir, sans le vouloir. Dans l’ordre civil, par contre, sa manière d’être change. Il se développe en lui une nouvelle espèce de bonté, appropriée à son nouvel état. Alors qu’il était bon, il devient un être moral; il se sent maître de lui, il remplit ses devoirs et agit en toute occurrence selon ce que lui dicte sa conscience. Il faut qu’il y ait dans l’État un code moral, une espèce de profession de foi civile, qui exprime sous une forme positive le nouvel évangile, des maximes sur lesquelles repose l’État, une espèce de catéchisme du citoyen. Tous ses penchants, tout son être doivent tendre à faire de lui un membre du grand tout. Et dans cette façon d’être, il retrouvera son unité : il sera bon, il sera heureux. Le bonheur de chaque particulier sera celui de la collectivité. Les participants n’existent que par et pour la communauté…» (48) L’homo œconomicus est d’une universalité qui n’est pas celle du zoon politikon, d’où ces déchirements qui, non seulement opposent les deux figures ontologiques de l’individu l’une à l’autre, mais qui empêchent toute fusion de la citoyenneté dans la propriété. Lieu d’expression des divergences et souche de tous les partis antagoniques qui se déchirent autour du pouvoir, là où le sens de l’unité restauré par l’idée de Nature s’achevait dans le désenchantement, le sens de l’unité restauré par l’idée de l’individu s’achèvera dans la discorde intrieure et la disloquation entre l’Universelle-Propriété et la Singulière-Citoyenneté.

Le traité du philosophe anglais Thomas Hobbes (1588-1679), Du Citoyen, contient la réflexion la plus poussée que l’âge baroque pouvait tenir sur le citoyen : «Le De Cive de T. Hobbes est publié, en français, en 1642 (ou 1649) sous le titre Traité du citoyen […] Hégélien avant la lettre, le philosophe anglais qui déclare: “Le roi est ce que je nomme peuple” (commonwealth) et place le “peuple” dans la mouvance du “roi” suscite une lecture nouvelle par son affirmation que tout citoyen, menacé dans sa vie par le fonctionnement de l’État, a le droit de se défendre et de résister, qu’il possède, à ce titre un droit inaliénable et imprescriptible. On voit, dans le De Cive, la première expression de la doctrine des droits inaliénables de l’homme-individu et des citoyens liés entre eux par le contrat (commonwealth)». (49) Le De Cive fait contrepoids au Leviathan, ce qui permet à Hobbes de ne jamais quitter le centre de la gravitation copernicienne où le Roi est le pouvoir politique et les individus les satellites avec lesquels il constitue le système planétaire. Il faudra attendre Diderot et les Encyclopédistes pour que la notion de citoyen soit redéfinie en termes de l’individu-Sujet. Josiane Boulad-Ayoub note ainsi que «la première série conceptuelle que je distingue [celle des Encyclopédistes], travaillerait à enchaîner la redéfinition du citoyen, comme élément ontologique premier des sociétés, à celle de la liberté et de l’égalité politiques; elle repose sur l’analyse que font les philosophes des notions de souveraineté nationale, de volonté générale, d'autorité politique et de loi. La deuxième série que je suis [celle de Rousseau], s’attacherait à relier la redéfinition du type de gouvernement (idéal) à la réévaluation de la place du peuple dans un tel gouvernement; s’appuyant sur l’analyse que font les philosophes de la notion de représentant ou des délégués de la nation ainsi que sur celle de leurs relations avec le prince, elle circonscrit leur rôle politique tout en les rapportant aux fonctions respectivement distinctes des pouvoir législatif et exécutif». (50) En effet, l’article Citoyen de l’Encyclopédie, rédigé par Diderot lui-même, élabore, à partir de la définition devenue classique de Hobbes, les contradictions que cette ontologie véhicule : «L’être moral souverain étant par rapport au citoyen ce que la personne physique despotique est par rapport au sujet, et l’esclave le plus parfait ne transférant pas tout son être à son souverain; à plus forte raison le citoyen a-t-il des droits qu’il se réserve, et dont il ne se départ jamais. Il y a des occasions où il se trouve sur la même ligne, je ne dis pas avec ses concitoyens, mais avec l’être moral qui leur commande à tous. Cet être a deux caractères, l’un particulier, et l’autre public : celui-ci ne doit point trouver de résistance; l’autre peut en éprouver de la part des particuliers, et succomber même dans la contestation. Puisque cet être moral a des domaines, des engagements, des fermes, des fermiers, etc. Il faut, pour ainsi dire, distinguer en lui le souverain et le sujet de la souveraineté. Il est dans ces occasions juge et partie. C’est un inconvénient sans doute; mais il est de tout gouvernement en général, et il ne prouve pour ou contre, que par sa rareté ou par sa fréquence, et non par lui-même. Il est certain que les sujets ou citoyens seront d’autant moins exposés aux injustices, que l’être souverain physique ou moral sera plus rarement juge et partie dans les occasions où il sera attaqué comme particulier. […] Plus les citoyens approcheront de l’égalité de prétentions et de fortune, plus l’état sera tranquille : cet avantage paraît être de la démocratie pure, exclusivement à tout autre gouvernement; mais dans la démocratie même la plus parfaite, l’entière égalité entre les membres est une chose chimérique, et c’est peut-être là le principe de dissolution de ce gouvernement, à moins qu’on y remédie par toutes les injustices de l’ostracisme. Il en est d’un gouvernement en général, ainsi que de la vie animale : chaque pas de la vie est un pas vers la mort. Le meilleur gouvernement n’est pas celui qui est immortel, mais celui qui dure le plus longtemps et le plus tranquillement». (51)

Transférer la souveraineté du Roi au citoyen, faire basculer le système copernicien du soleil aux planètes afin d’approcher le plus près de l’état parfait d’égalité en vue d’obtenir la paix civile, voilà ce qui correspond, politiquement, à la translation des propriétés d’un régime seigneurial à celui de la propriété privée bourgeoise : la démocratie du citoyen correspond à la généralisation de la propriété. Les deux mouvements vont de paire, mais la multitude des citoyens crée vite un défaut de gouvernement : même si l’égalité de l’accès à la propriété tend à s’élargir, sa généralisation ne suivra jamais assez rapidement la vitesse avec laquelle la reconnaissance des droits politiques du citoyen se répand. C’est là le nœud de la contradiction que vit la Constituante entre 1789 et 1791, les débats acrimonieux autour du marc d’argent qui voudrait harmoniser les droits du citoyen à ceux du propriétaire, les politiques successives de nationalisation (des biens du clergé, des émigrés) et l’émission des assignats qui font participer tous au remboursement de la dette royale (devenue dette nationale), la question coloniale encore, etc. La méfiance des députés bourgeois restait tenace : «“Lier la liberté à la loi, c’est insister sur l’existence politique des libertés : depuis Turgot, les libéraux y voient une menace pour les droits.” L’“absolutisme de la loi” a toujours représenté un danger pour la pensée libérale : finalement, la vraie garantie des droits de l’homme serait l’inexistence des droits du citoyen. On touche là à un des enjeux les plus radicaux de la conception contemporaine des droits de l’homme et de leur universalité postulée. Ces droits de l’homme se placent dans la tradition hobbesienne, celle de la monarchie absolue, plutôt que dans celle de la Déclaration de 1789. Marcel Gauchet a relevé les dangers d’une telle conception: “Au nom de la démocratie [notre société], tourne le dos à l’exigence démocratique suprême, celle de se gouverner soi-même. […] À un moment donné, l’idéal de l’autogouvernement ramènera au centre de l’attention, comme ses points d’appui indispensables, ces dimensions de la généralité publique et de l’unité collective répudiées par les aspirations de l’heure”». (52) Aussi, les plus optimistes préféraient-ils s’en ramener à la définition donnée par le baron d’Holbach, dans son article Représentant pour l’Encyclopédie, où il désignait déjà les députés comme «des citoyens plus éclairés que les autres, plus intéressés à la chose, que leurs possessions attachent à la patrie, que leur position mette à portée de sentir les besoins de l’état, les abus qui s’introduisent, et les remèdes qu’il convient d’y porter». (53) Il liait ainsi la représentation nationale à la possession territoriale; le pouvoir et la souveraineté à la propriété. À partir de ce jour, le citoyen était identifié comme le double du propriétaire, son autre lui-même à l’intérieur de son propre Moi, de sa propre personne. Si Rousseau, pour sa part, ne croyait pas à la représentation des citoyens, ceux-ci finissant inévitablement par se faire jouer par leurs représentants - le signifiant dévorant le signifié -, l’expérience toute empirique de la Révolution finit par l’imposer comme seul intermédiaire possible capable d’assurer l’efficacité d’un gouvernement démocratique. Avec la Constituante, d’Holbach avait raison de Rousseau et, «comme le dit le lexicographe Gauthier dans son Dictionnaire de la constitution du gouvernement français (1791), quelque chose d’ancien est clos : “régis par des ordres arbitraires qui tenaient lieu de lois, n’osant ni parler, ni écrire, étrangers à toutes les fonctions du gouvernement, les Français n’étaient point citoyens avant la Révolution”. Quelque chose d’absolument neuf commence : “Le titre de citoyen  décore maintenant tous les Français”. Le présent n’est plus référé au passé et surtout pas, comme on pourrait le penser, à Athènes ou à Rome… qui n’étaient que des “cités” ou des “villes”, si prestigieuses soient-elles. Le terme de citoyen s’applique, et à la situation française, citoyen “nom commun à tous les Français”, et à l’avènement d’une nouvelle ère politique qui s’exprime dans le langage politico-religieux de “régénération” (re-gens). Temps flottant sans vecteur précis qui éclaire le vocabulaire des hommes politiques à l’encontre de valeurs nationalistes auxquelles on s’attendrait chez ces “patriotes”». (54) La vision hobbesienne du citoyen était définitivement transformée. L’ancien support de la souveraineté, les ordres privilégiés, sous le fracas de l’absolutisme qui faisait naître cette nouvelle souveraineté morcellée en chaque individu, fut balayé sans retour. La naissance du citoyen comme support de la souveraineté inaugurait le nouveau régime mais aussi les contradictions du politique dans le contexte des luttes de classes.

Les révolutionnaires furent autant des praticiens de la citoyenneté que ses théoriciens. Dans l’esprit empirique de l’époque, ils mirent à l’épreuve les thèses de Diderot et d’Holbach tout en cherchant à faire mentir le pessimisme du Citoyen de Genève. La reconnaissance du citoyen n’impliquait pas pour eux nécessairement la démocratie parfaite. Ils ne la souhaitaient pas plus qu’ils ne pouvaient souhaiter l’universalisation de la propriété. Si nous ne sommes plus dans l’ère de Hobbes, nous ne sommes pas encore entrés dans l’ère de Lincoln. À l’image des intérêts bourgeois, la citoyenneté est située dans une société métaphore de l’entreprise domestique ou économique. C’est le propriétaire dans l’individu qui va, seul, se charger de définir la fonction sociale du citoyen. Ceci est clair déjà dans le pamphlet de 1789 de l’abbé Sieyès : «Si tous les habitants d’un pays lui semblent avoir droit à la protection constitutionnelle de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, tous cependant ne lui paraissent pas avoir droit à prendre une part active à la formation des pouvoirs publics : n’ont ce plein droit, à ses yeux, que ceux qu’il appelle si curieusement “les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale.” […] Pour Sieyès, ce n’est pas la richesse, le cens révélant son existence, qui est le fondement de la société, mais le travail, la production, toute cette activité industrielle et bancaire qui ne devait trouver sa puissante concentration que quelques années plus tard, sous le Premier Empire. […] Le philosophe-citoyen, dans son illustre pamphlet [Qu’est-ce que le Tiers-État?], n’a reconnu tous les droits au tiers que parce qu’il l’a considéré comme le seul producteur des richesses nationales : c’est parce qu’il représente le travail utile que le tiers doit prendre la première place dans l’État». (55) Cette position, cette identification devrions-nous dire, annonçait la querelle du |marc d’argent, quelques mois plus tard. À la fin de l’année 1789, les Constituants se mirent à débattre des règles de l’éligibilité à l’Assemblée nationale dans l’esprit qui était celui du pamphlet de Sieyès. Il serait exigé le paiement d’une contribution d’au moins un marc d’argent (51 livres) et la possession d’un bien foncier pour être éligible à l’Assemblée. De même, pour être électeur, il faudrait être citoyen actif, c’est-à-dire être âgé d’au moins 25 ans, ne pas être domestique, être inscrit à la Garde nationale et payer une contribution directe au moins égale à trois journées de travail. Ils représentaient déjà 4,300,000 contre 3 millions de citoyens dits passifs. Le citoyen s’emballa contre le propriétaire. Le 22 octobre 1789, Robespierre faisait une sortie remarquée : «“La souveraineté réside dans le peuple, dit-il, dans tous les individus du peuple…” Mais il n’est pas suivi par les Constituants qui voient dans la propriété une garantie de l’ordre». (56) Il arriva donc ce qui devait arriver selon Mignet: «Ceux qui ne sont pas électeurs veulent le devenir, les électeurs aspirent à être éligibles, les journaliers à être propriétaires, les ouvriers à passer maîtres, chacun à devenir plus qu’il n’est sans violence, sans désordre…» (57) À tout point de vue, la Constituante sembla confirmer l’exclusivité de la citoyenneté aux seuls propriétaires. Pour Rosanvallon, aujourd’hui, la chose était moins discriminatoire qu’elle pouvait apparaître : «La Constitution de 1791 accorde le droit de suffrage à près de 4 millions et demi de personnes, alors que la France compte, selon les estimations de l’époque, 26 millions d’habitants. Le droit de vote est donc limité. Mais cette limitation apparaît somme toute modérée si l’on compare ce nombre d’électeurs à la population masculine en âge de voter : 6 millions d’hommes ont plus de vingt-cinq ans. Les conditions imposées pour l’exercice du droit de vote reviennent donc à soustraire environ le tiers de la population adulte masculine…» C’était donc bien un principe qui était là en cause : «Ce n’est donc pas tant le niveau du cens que la condition même d’imposition discriminante dans le système. Le principal contingent des passifs est ainsi constitué des mendiants, des vagabonds, exerçant ici ou là, au gré des saisons et des opportunités, des tâches de manœuvre agricole. Ce sont les classes instables et marginalisées et non pas les paysans, ouvriers ou artisans, même modestes, qui sont écartées. […] C’est ce qui permet d’expliquer que les constituants ne se préoccupent guère du nombre des citoyens passifs. Même s’il est plus élevé, semble-t-il, que les contemporains ne l’imaginaient, l’évaluation exact de ce nombre n’emporte pas de conséquence fondamentales pour comprendre les discussions sur la citoyenneté». (58) Quoi qu’il en soit, il y avait un principe qui semblait bafouer, et le débat se poursuivit en dehors de l’Assemblée et, après deux années de récriminations contre la décision de décembre 89, la loi électorale fut révisée le 27 août 1791 - juste à la veille de la dissolution de la Constituante - et l’obligation du marc d’argent fut supprimée bien que le cens électoral ait été relevé. La fin prématurée de la Législative avec la proclamation de la République allait emporter le cens à son tour. Georges Lefebvre résume assez bien l’enjeu de cette querelle du marc d’argent : «Vous allez, a-t-on dit aux Constituants, substituer à l’aristocratie féodale l’oligarchie de l’argent. Quelle sera la liberté du citoyen dont le salaire dépendra du pouvoir discrétionnaire de ceux que vous laissez libre de l’employer à leur gré? Que signifiera le droit d’accorder aux fonctions publiques pour qui ne possède pas les moyens de s’instruire? Et qu’est cette égalité des droits qui refuse le droit de vote aux pauvres? Il faut rendre cette justice à la bourgeoisie révolutionnaire qu’il se trouva dans ses rangs des hommes qui ne furent pas insensibles à ces protestations. Comme presque tous les Constituants, ils pensaient qu’un citoyen n’est vraiment apte à prendre part à la conduite du pays, n’est digne de la pleine liberté que s’il est propriétaire. Mais ils estimaient que, pour cette raison même, l’État doit faciliter l’accès de tous à la propriété. La concevant naturellement sous la forme individuelle, ils indiquaient pour moyens la distribution aux pauvres d’une partie des biens nationaux et le partage des communaux. […] Mais la majorité ne voulut rien entendre et se contenta de promettre une assistance publique et un enseignement élémentaire national». (59)

La République accoucha de la notion achevée du citoyen. Qu’importe s’il faut reconnaître ou non l’élection au suffrage universel des députés de la Convention, en septembre 1792, pour la première fois, le citoyen ne se qualifiait plus d’actif ou de passif, mais de bon ou mauvais patriote, et toute la différence est là. Cessant d’être l’apanage de la propriété, le titre et la fonction de citoyen devenaient une marque de liberté : Ici, on s’honore du titre de citoyen, affichait-on. Le 22-29 septembre 1792, le journaliste Prudhomme déclara, dans son Journal des Révolutions de Paris : «Citoyens. Nous nous constituons Républicains […] Nous voulons, nous, la République mais non pas à la manière des Grecs, des Romains, des Bataves, des Anglais, des Suisses […] Nous sommes les premiers et les seuls qui donnons à la nôtre pour bases, les saintes loix de l’égalité […] Les premiers et les seuls, nous fondons un gouvernement tout fraternel; puissions-nous avoir des rivaux. […] Mais à coup sûr nous n’avons point de modèle, nous n’imitons personne […] c’est la nature seule que nous consultons; nous remontons aux droits imprescriptibles de l’homme, pour en déduire ceux du citoyen. Cette république suppose de grandes vertus et assujettit à des devoirs pénibles et multipliés […] et nos mœurs aussi doivent prendre le caractère de nos loix». (60) Là où le représentant était le délégué des propriétaires, désormais il devenait l’intermédiaire de tous les citoyens : «La notion même de citoyen, aux lieu et place de celle de sujet, suffisait à elle seule à nous en convaincre, d’où le mot de Saint-Just: “Lorsqu’on parle à un fonctionnaire, on ne doit pas dire citoyen; ce titre est au-dessus de lui”». (61) Car si tous les propriétaires sont citoyens, tous les citoyens ne sont pas propriétaires, mais, avec la République, ils peuvent désormais accéder, sans confort de la propriété, au rôle d’électeur et à la possibilité d’éligibilité. Les règles prudentes posées par les Encyclopédistes venaient de sauter. Là se situe, en définitive, le fameux dérapage de Furet, car, bien sûr, cette nouvelle définition du citoyen peut prêter à des conséquences terribles et que l’on retrouvera dans les Instructions de Fouché lors de la répression de Lyon : «Ne vous y trompez pas, pour être vraiment républicain, il faut que chaque citoyen éprouve et opère en lui-même une révolution égale à celle qui a changé la face de la France. Il n’y a rien, non absolument rien de commun entre l’esclave d’un tyran et l’habitant d’un État libre : les habitudes de celui-ci, ses principes, ses sentiments, ses actions, tout doit être nouveau. Vous étiez opprimés; il faut que vous écrasiez vos oppresseurs. Vous étiez esclaves de la superstition, vous ne devez plus avoir d’autre culte que celui de la liberté…» (62)

Cette poussée démocratique de la citoyenneté fut quand même contenue par le gouvernement révolutionnaire. Le même Lanjuinais que nous avons cité plus haut, lorsqu’en 1795, dans l’esprit de la Constituante, il entreprit de rassoir la citoyenneté sur la propriété, «Lanjuinais répondit… à la question fondamentale : Qu’est-ce qu’un citoyen français? en introduisant une distinction, subtile mais commode, entre le sens général et le sens restreint du mot “citoyen” [fin avril 1793]: “L’idée générale que réveille le mot de citoyen est celle de membre de la cité, de la société, de la nation. Dans ce sens rigoureux il signifie seulement ceux qui sont admis à exercer les droits politiques, à voter dans les assemblées du peuple, ceux qui peuvent élire et être élus aux emplois publics; en un mot, les membres du souverain. Ainsi les enfants, les insensés, les mineurs, les femmes, les condamnés à peine afflictive ou infamente, jusqu’à leur réhabilitation, ne seraient pas des citoyens. Mais dans l’usage on applique cette expression à tous ceux qui sont du corps social, c’est-à-dire qui ne sont ni étrangers, ni morts civilement; soit qu’ils aient ou non des droits politiques; enfin à tous ceux qui jouissent de la plénitude des droits civils, dont la personne et les biens sont gouvernés en tout par les lois générales du pays. Voilà les citoyens dans le langage le plus ordinaire”». (63) C’est donc une constante qui traverse les différentes assemblées : Constituante, Législative, Convention, Conseils législatifs, que celle qui par la propriété détermine en dernière instance la citoyenneté. Cette généralisation temporaire de la citoyenneté ne fût qu’un rééquilibre passager suite à la désertion des grands propriétaires qui ont pris la route de l’émigration, devenus, pour un temps, contre-révolutionnaires. Il s’agissait de combler le vide de la richesse par la quantité des ressources humaines. La réconciliation des élites, après le Directoire, sous le Consulat, l’Empire et la Restauration, devait s’accompagner du sacrifice de la démocratie; la richesse revenant, les ressources humaines perdaient de leur préciosité. L’exclusion des femmes de la citoyenneté en est un exemple frappant. On a vu que dès la fin de 1789, les femmes propriétaires perdaient leur privilège électif. Avec ou sans marc d’argent, elles se voyaient exclues de la citoyenneté. La marche des femmes sur Versailles, le 6 octobre 1789, et la formation de clubs féminins sous la Convention inquiétèrent au plus haut point les assemblées. Le club des Citoyennes Républicaines révolutionnaires surtout, avec Claire Lacombe en tête, proche du mouvement des Enragés de Leclerc et Varlet, agita profondément le monde de la petite échoppe et des travailleurs salariés. Chaumette, procureur-syndic de la Commune de Paris et Amar, membre du Comité de Sûreté générale, pourtant deux radicaux de gauche déclarés, décidèrent d’en venir à bout en ordonnant la dissolution des clubs féminins et en donnant une définition exclusive de la citoyenneté. Ainsi, l’argument en trois points présenté par Amar, en novembre 1793, annonce les préjugés injurieux qui seront contenus dans le Code civil onze ans plus tard: «[Premier argument] Les droits politiques du citoyen sont de discuter et de faire prendre des résolutions relatives à l’intérêt de l’État, par des délibérations comparées, et de résister à l’oppression. Les femmes ont-elles la force morale et physique qu’exige l’exercice de l’un et de l’autre de ces droits? L’opinion universelle repousse cette idée. [Deuxième argument] Les fonctions privées auxquelles sont destinées les femmes par la nature même tiennent à l’ordre général de la société; cet ordre social résulte de la différence qu’il y a entre l’homme et la femme [alors que les fonctions publiques, selon ce même ordre, appartiennent aux hommes]. Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre; son action est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir, car la nature, qui a posé ces limites à l’homme, commande impérieusement, et ne reçoit aucune loi. [Troisième argument] L’homme est fort, robuste, né avec une grande énergie, de l’audace et du courage; il brave les périls, l’intempérie des saisons par sa constitution; il résiste à tous les éléments, il est propre aux arts, aux travaux pénibles; et comme il est presque exclusivement destiné à l’agriculture, au commerce, à la navigation, aux voyages, à la guerre, à tout ce qui exige de la force, de l’intelligence, de la capacité, de même, il paraît seul propre aux méditations profondes et sérieuses qui exigent une grande contention d’esprit et de longues études qu’il n’est pas donné aux femmes de suivre…» (64) Bref, «les femmes ne sont pas admises à la citoyenneté. L’Assemblée est unanime pour les exclure de toute réunion». (65)

Il apparaît, au bout de tout ceci, que ce n’est pas le citoyen qui crée l’État, qu’il ne délègue pas sa souveraineté au pouvoir politique, mais que c’est bien l’État - l’État des propriétaires - qui crée le citoyen, le met au service de celui-ci. Il est le bras politique d’un corps dont l’ossature reste celui de la propriété. Voilà la preuve que la liberté de conscience laissée au fonctionnaire par Kant dans son opuscule Qu’est-ce que les Lumières? ne peut tenir dans la réalité, ce que finit par reconnaître le philosophe dans sa Doctrine du Droit, où, se ralliant à l’opinion de la Constituante «il limite l’usage politique de la raison - et par conséquent la citoyenneté - aux seuls propriétaires. Ceux qui ne sont pas “leurs propres maîtres : par exemple les salariés, les domestiques ou les femmes, ne peuvent être citoyens…”» (66) Le citoyen n’est bien qu’une créature de l’État, voilà pourquoi il est dit créature abstraite. Augustin Cochin, historien militant de L’Action française, mort au front lors de la Grande Guerre, écrira dans L’esprit du jacobinisme : «Ici, c’est à l’être individuel que s’adresse le pouvoir, c’est-à-dire la conscience explicite et actuelle de chacun, abstraction faite du milieu, de la situation et des besoins réels, tout cela du moins ne gardant de sa valeur et de son poids que ce que chacun sait ou veut bien en conserver, c’est-à-dire peu de chose. De là l’importance de l’élection, du vote, seule circonstance et seul acte qui permettent à cet être nouveau, abstrait, irréel - le citoyen - d’affirmer son existence». (67) Importance vite amenée à s’effacer devant les impératifs de l’invasion étrangère, car bientôt l’on verra que «le premier devoir du citoyen n’est pas de voter mais de donner “sa vie pour assurer à la patrie des jours meilleurs”, car tous ont cette première “des obligations envers la patrie : celle du soldat”». (68) L’appel aux Volontaires de 1792, puis la levée en masse de 1793 sont déjà un sombre indicateur du sacrifice implicite à la déclaration démocratique de la citoyenneté. Les citoyens sans propriété iront mourir au champ d’honneur pour les citoyens dotés de propriétés et capables de payer des substituts pour échapper à la conscription. La créature engendrée par l’État naissait du ventre de la Nation : «Les citoyens étant les seuls arbitres de la nation, il en résultait qu’elle était indépendante des autres nations. De même que le roi avait été souverain à l’intérieur de son domaine et que son domaine et lui-même étaient indépendants de tout contrôle extérieur, la Nation était maintenant également souveraine et indépendante. Les citoyens, non seulement contenaient la Nation en eux-mêmes, mais, dans l’exercice de leurs activités collectives nationales, ils n’étaient sujets à aucun contrôle placé au-dessus de leur volonté. En 1793, Carnot, l’organisateur de la victoire, dit très exactement ce qui entrait alors dans la pratique : actuellement, les nations sont entre elles dans l’ordre politique ce que les individus sont entre eux dans l’ordre social». (69) Napoléon ira même jusqu’à répudier, bien avant Joséphine, cette «idée, qui s’était fait jour en 1793, de reconnaître au citoyen un droit à la vie»! (70)

Ainsi restaurée, banalisée, dissoute dans le Code civil, l’idée de citoyenneté suivit à son tour l’émigration et se retrouva en Allemagne. Comme pour bien d’autres thèmes, les Allemands intégrèrent l’idée moderne du citoyen dans les catégories encore baroques du despotisme éclairé ou à la réaction romantique. Dès 1793, le juriste Rehberg, démontrait a contrario l’inégalité entre les citoyens : «Dès qu’il est question de politique, le citoyen doit être totalement séparé de l’homme. Oui, les hommes sont égaux devant Dieu. Mais seulement en rapport avec leur Créateur. Entre eux, il n’existe pas d’égalité». (71) On voyait revenir le spectre hobbesien de l’identification du peuple au Roi par l’intermédiaire de l’autorité divine. L’ontologie du citoyen dépendait de sa relation à Dieu alors que le politique le condamnait à l’inégalité sociale. Le baron von Stein (1757-1831), ancien ingénieur, grand patriote de la cause allemande, entré dans l’administration prussienne et élu à plusieurs reprises ministre d’État de Frédéric-Guillaume III dont il fut la clarté du despotisme, comprenait que pour être à la hauteur de la France napoléonienne, il fallait jouer la révolution par un plan de réformes et de modernisation des rapports de l’État et de sa population. Le temps des sujets passifs était bien passé et il fallait les convertir à la citoyenneté si l’on voulait sauver les institutions traditionnelles, désormais qualifiées de nationales. Jacques Droz observe que même «chez lui se manifeste de bonne heure le souci d’éveiller le citoyen à la pratique de la chose publique; son passage au ministère des finances (1804-1806), et surtout les grandes épreuves de la Prusse lui feront écrire, au début de l’année 1807 dans le Mémoire de Nassau, que c’est le manque d’éducation civique de la nation qui a été la cause profonde de la défaite : d’où l’organisation nécessaire du self-gouvernement dans les villes, les cercles et les provinces, qui permettra l’éclosion du patriotisme et substituera au mécanisme de la fonction bureaucratique un esprit d’initiative créatrice; il importe dans sa pensée de faire sortir le citoyen de l’“état d’enfance”, d’utiliser les forces qui sommeillent ou qui ont été mal dirigées jusqu’à présent, de faire faire “l’apprentissage” de la chose publique». (72) Von Stein avait vu juste et, inquiet, Napoléon força le roi à se départir de ce trop subtile serviteur de la chose publique. Enfin Hegel s’empara de la définition et, comme toujours, la modifia pour l’insérer dans son système de totalité de l’humanité en réaction au mouvement romantique. Hegel, à son habitude, chercha la synthèse entre la définition hobessienne et la conception transformée par l’élan révolutionnaire démocratique : «Comme dit Cassirer, la Grèce telle qu’elle apparaît aux yeux de Hegel est surtout “le paradis perdu politique” : si les Grecs vivaient en harmonie avec le monde, c’est qu’ils ignoraient la scission entre la Cité et l’individu et, par conséquent, le repliement douloureux sur soi et la fuite dans l’au-delà vide. L’Hellade sacrée que Gœthe, Schiller, Hölderlin cherchaient “avec les yeux de l’esprit”, prend chez Hegel une allure jacobine, politisée où la Cité apparaît de nouveau comme la societas diis hominibusque communis et où la participation active du citoyen à la chose publique (la “Chose même”) est célébrée comme l’unique source de “bonheur” et de “satisfaction” terrestre. […] Plus haut que l’amour universel du christianisme, qualifié d’“invention insipide” et de “platitude”, est la libre participation du citoyen à la vie de la cité qui seule peut concilier l’homme et le monde et fonder la véritable “reconnaissance de l’homme par l’homme”». (73) Le résultat de cette synthèse fut l’invention du Soi universel : «Il fallait briser la “belle totalité”, s’aliéner dans la richesse et l’État, aspirer à un bonheur individuel impossible, connaître les déchirements chrétiens, passer par la perversion universelle pour que l’individu puisse réaliser ses potentialités, donner le maximum d’objectivité et de consistance à l’œuvre sociale et songer à nouveau à constituer “un Moi qui soit un Nous, un Nous qui soit un Moi” : le “Soi universel”. Dans le monde de l’aliénation, l’œuvre collective, la réalité concrète du Logos, “la présence de l’Esprit vivant”, était dénaturée à cause de la dispersion des individus. La Révolution française sera la suppression de cette dispersion et la constitution du “Soi universel” dans la figure du Citoyen». (74)

Il est évident que la notion de citoyen était appelée à bouleverser tous les États occidentaux, soit par la voie révolutionnaire et unanimiste, soit par la voie réformiste et pluraliste (la Jacksonian democracy américaine, le Reform Bill anglais de 1832, etc.). Pierre Rosanvallon en a établi le cours parallèle : «Il y a là une différence fondamentale entre la France et l’Angleterre. En Angleterre, la démocratie résulte d’un élargissement progressif du citoyen propriétaire, les conditions de cens devenant peu à peu plus modérées. Le citoyen propriétaire y incarne une figure de transition et de compromis entre la représentation individualiste moderne et la représentation ancienne fondée sur le territoire. De toute façon, le passage du vieux au neuf s’opère insensiblement sans heurts et sans rupture du XIVe au XXe siècle. En France, le développement de la citoyenneté ne fait que suivre les variations de l’appartenance sociale et la transformation des sujets juridiques : l’histoire du suffrage universel est à la fois une histoire de l’avènement du sujet autonome dans la société moderne et une histoire de l’inclusion sociale. Mais, au départ, il y a déjà - dans le cas français - un type de suffrage que l’on peut qualifier d’universel. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de conquête graduelle du suffrage en France. Si des accommodements pratiques avec la théorie peuvent toujours être trouvés, le suffrage universel doit être ou complètement réalisé ou totalement nié. Il n’y a pas de réformisme possible, comme Sieyès l’a très fortement senti. C’est pourquoi le XIXe siècle français connaît un mouvement brutal d’oscillation entre un suffrage censitaire très restreint et un suffrage (masculin) vraiment universel, aux antipodes du mécanisme progressif de réalisation de l’égalité politique qui se met en place en Angleterre avec les Grandes Reform Bills (1832, 1867, 1884) qui scandent la marche du siècle». (75) La division en États nationaux et l’ouverture des libres marchés où les propriétaires s’agitèrent dans une concurrence féroce, nécessitaient une participation accrue au pouvoir par la représentation électorale. La critique conservatrice qui s’en tint à l’atomisation individualiste du XVIIIe siècle, s’en prit à la citoyenneté comme la somme des parties n’équivalant jamais au tout. Paradoxalement, elle évita de s’en prendre à la propriété, qui pourtant incarnait cette atomisation encore plus distinctement puisqu’elle se confondait avec le partage territorial. La propriété devint la cible des attaques des différentes gauches occidentales. Lutte contre le citoyen pour la restauration de la monarchie, lutte contre les propriétaires pour la réalisation d’une utopie communiste; nous sommes en présence des deux voies dysfonctionnelles de l’unité du temps : le présent - rétrogression vers le passé; projection vers le futur -, toujours il s’agira de formuler «une solution réaliste à la fameuse question posée par Rousseau, discréditée par la Terreur et néanmoins plus que jamais présente : comment faire un citoyen avec l’homme de la société moderne?» (76) La démocratie, si active et intense fut-elle en l’an II, a compté pour très peu dans l’épisode révolutionnaire et la logorrhée des tribuns sur le droit des citoyens n’est qu’un exercice rhétorique comparé à la sérieuse et laborieuse redéfinition du droit de propriété. La Révolution reste une translation des propriétés et le citoyen n’est qu’une invention de l’État pour garantir les propriétaires contre l’abus des gouvernements. C’est la grande qualité de Taine et de sa postérité idéologique de ne pas s’être montré la dupe de cette rhétorique où la société démocratique : «se constitue en société abstraite d’individus égaux : un peuple d’électeurs. Le pouvoir s’adresse à chaque individu, abstraction faite de son milieu, de son activité, de ses valeurs, puisque c’est seulement le vote qui constitue cet individu abstrait en individu réel. D’où la nécessité d’inventer le domaine de cette réalité nouvelle : ce sera la politique; et des spécialistes de ce domaine, de cette médiation, les politiciens. Car le peuple, réduit à sa définition démocratique de somme d’individus égaux, n’est plus capable d’activité autonome : il est dépossédé de son rapport réel au monde social d’une part, et à ce titre, privé à la fois d’intérêts particuliers et de compétence sur des questions débattues; d’autre part, l’acte qui le constitue, le vote, est préparé et déterminé en dehors de lui : ce qu’on lui demande, c’est un assentiment». (77) Telle est la force de l’historicité de la tradition réactionnaire de l’historiographie de la Révolution, de ne pas se laisser duper par la fausse sincérité d’un consensus social qui n’est qu’un assentiment électoral. Cet assentiment sert bien d’écran idéologique sur lequel l’activisme politique creuse le lit de la propriété bourgeoise, ce que refuse d’autre part de reconnaître cette même tradition réactionnaire. Là où on croit voir une concession de la richesse à la puissance, de la légalité à la légitimité, il n’y a qu’une persuasion subversive des idéaux révolutionnaires. Il y a bien une logique des contingences qui dénie les projets ou les principes révolutionnaires, et cette logique s’imbrique très bien dans une logique de la nécessité qui s’exprime à travers l’idée de la force des choses : l’impératif catégorique de la propriété. Le citoyen est le jouet du propriétaire, mais il n’en constitue pas moins sa zone obscure où l’individu parvient, parfois, à se rebiffer contre le diktat de la propriété. Le citoyen tient à son principe autant que le propriétaire à ses biens. Le citoyen n’est pas qu’un fantasme d’estime de soi ou une aspiration idéaliste, il est aussi réel et contraignant que le propriétaire. De son double, il s’échappe, parvient à s’émanciper, crée en tout cas un conflit interne de personnalité qui, socialement, annonce les grandes luttes de classes du XIXe siècle, et psychologiquement, annonce les grandes schizophrénies culturelles du XXe siècle.

Cette première schize, rappelons-le rapidement, partait de l’opposition ontologique entre le Propriétaire, concept issue de la définition de la propriété lié métaphoriquement au corps de l'individu et le Citoyen, dont le rôle, à l'origine, visait par l'entremise du droit et de l'État, à garantir l’intégrité du Propriétaire. Le Propriétaire comme le Citoyen se voulaient pareillement constituant de l'identité individuelle de l’homme occidental, mais cette merveilleuse complémentarité se renversa au cours de la Révolution française, quand le Citoyen, notion juridique qui débordait finalement les cadres de la définition du Propriétaire, s’étendit à l’ensemble de tous les membres de la collectivité, y compris ceux qui n'étaient pas propriétaires. C'est cette contradiction historique que nous désignons comme étant la première schize. Notre seconde schize suit un parcours similaire. La représentation de l’Homme-Machine, elle aussi issue de l’observation empirique des sciences physiques (encore là, essentiellement mécaniques, médicales, anatomiques et physiologiques) de l’âge baroque, se veut également participer de l'identité individuelle de l’homme occidental. En fait, par l’établissement du régime capitaliste, l’Homme-Machine double le Propriétaire. Cependant, l’Homme-Machine ne peut se satisfaire d’une définition ontologique de son être qui serait purement matérialiste et mécanicienne (un étant). La réalisation tangible dans la production industrielle de cet Homme-Machine l’oblige - ou plutôt oblige le bourgeois du XVIIIe siècle - à se créer une complémentarité gratifiante, transcendante, animée mais limitée au monde moral et juridique, et ce seront les impératifs catégoriques de Kant qui lui suggéreront l’assimilation à un nouveau Sujet. De ces impératifs catégoriques, le plus important est sans contredit celui de la Liberté dévolue à chaque individu, qui permet le raccord du Sujet kantien avec le Citoyen, à la fois issu du Propriétaire en quête de protection pour lui-même et son droit de propriété et du droit collectif comme garant de l’intégrité de tout droit de propriété appuyé sur la liberté individuelle (la notion étroite d’égalité). C’est à la nature ontologique du Sujet que la pensée bourgeoise demandera de justifier l’intégrité de l’Homme-Machine dans l’ensemble de la machine sociale. Cette autre complémentarité se renverse pourtant à son tour avec la Révolution industrielle quand le Sujet kantien devient un concept diffusé parmi l’ensemble des couches sociales aliénées à la production et privées de tout droit de propriété. Comme la notion de Citoyen, celle du Sujet kantien se démocratise et finit par s’opposer à l’optique strictement mécanicienne et matérialiste de l’Homme-Machine. Les ouvriers, en particulier, guidés par des intellectuels studieux, adoptent vite le concept abstrait et réclame l’intégrité de leurs propres impératifs catégoriques (la dignité, l’égalité, le droit d’association, à l’éducation, etc.). Le Sujet kantien double le Citoyen pour réclamer des droits et des protections à ceux qui se voient obligés de vendre leur force de travail, contraints par un libre-marché réglé par des principes mécaniques définis non par des lois de l’économie, mais par la structure sociale érigée sur la Propriété et la conception matérialiste de l’homme comme structure mécanique, l’Homme-Machine.

Cette nouvelle schize, il est possible pour nous de l’observer à partir des réactions philosophiques et politiques qu’elle a suscitées depuis lors, à commencer par cette confrontation par laquelle Lacan appose Sade à Kant: «Les vrais monstres, pour Sade, sont ces juristes qui dissocient la loi de la jouissance. D’où l’analyse de Lacan, montrant que Sade, mieux que Kant, qui fait de l’obéissance à la loi une expérience douloureuse, a choisi de mettre le plaisir au centre du système. On le voit, les analystes de Sade font du désir libertin bien plus qu’une révolte contre Dieu - qui admet donc Dieu, ne serait-ce que pour blasphémer -, ils en font un principe qui prend la place et la forme de la loi. “Le désir libertin, suggère Jallin, prend la place de l’inconditionné occupée par la loi dans la morale kantienne. Le désir prend la forme et la place de la loi et s’impose à sa victime avec la même rigueur que la loi morale dans l’expérience kantienne. On ne s’étonnera donc pas de voir, chez Sade, le blasphème remplacer l’expérience morale du respect. Jacques Lacan voit ainsi dans l’œuvre du marquis de Sade une caricature de Kant qui révèle la véritable signification du rapport entre le désir et la loi. La loi, chez Kant et Sade implique une douleur infligée au sujet, une cruauté qui exige de celui qui s’y soumet un renoncement à son bien-être et à son plaisir. À travers le rapport bourreau-victime, Sade mettrait en scène la division interne du sujet, tenu de sacrifier à la loi la part sensible de lui-même». (78) Cette caricature est bien celle qui fonde la liberté comme impératif catégorique pour l’Homme-Machine dans une séquence logique de nécessité qui lie l’homme à la société, à la Nature, enfin à la matière. L’Homme-Machine prend ainsi en otage sa propre créature censée le justifier comme création supérieure, cette Natura naturans liée à la Mécanique céleste de Laplace, deus ex machina de sa Natura naturata, le monde de la production économique. Est-ce à dire que Lacan a véritablement percé le secret de la schize nouvelle? Pas vraiment : «Pour Lacan, “le signifiant représente le sujet par un autre signifiant; alors que le signe représente quelque chose pour quelqu’un”: le moulin à délire lacanien fonctionne comme un circuit clos en lui-même où les signifiants se glissent les uns sur les autres comme les marches d’un escalier roulant : on monte et on descend mais sans se déplacer». (79) Le Sujet kantien (l’obéissance à la Loi) n’est pas un masque posé sur l’Homme-Machine (l’obéissance aux impulsions naturelles de la machine, ici, le désir). Les masques ne se révoltent pas contre les visages. Or, le Sujet kantien ne se situe pas dans une pose passive face à l’Homme-Machine puisqu’il se révolte de sa mise en situation d’otage. Si le Sujet kantien n’était qu’un pur produit passif de l’Homme-Machine, comme chez Sade, il ne représenterait rien, il ne ferait que se doubler l’un l’autre et la Critique de la raison pratique glisserait sous Juliette ou la prospérité du vice. Si le Sujet est signe, et qu’il représente autre chose que l’Homme-Machine mécanisé, alors nous nous rapprochons de l’originalité de l’analyse de Kant. Le délire lacanien n’est qu’un repère de la répétition sadienne. Il confond la schize avec la volonté première des matérialistes du XVIIIe siècle : donner une définition close de l’homme sur ses constituants anatomiques et physiologiques. Le Sujet kantien apparaît lorsqu’on dépasse cette limite imposée. À l’intérieur, comme Dieu, comme l’âme, il ne pourrait être considéré que comme une duperie. Cette autre chose par laquelle s’impose le Sujet kantien, c’est la prise de conscience historique de l’aliénation technique. À travers un parcours à la fois théorique (via les hérésies socialistes) et pratique (de la contestation luddite à l’organisation des mouvements ouvriers et syndicaux), c’est au nom de cette autre chose, qui habite aussi bien l’identité ouvrière qu’elle est affirmée comme une prérogative bourgeoise, que se réalise la vraie symptomatologie de la schize : souffrir au nom de la loi commune ou souffrir au nom du désir individuel d’un patron étranger : «Un individu qui souffre d’aliénation mentale se comporte, en effet, vis-à-vis de sa propre activité comme vis-à-vis d’une activité “au service d’un autre homme, sous sa domination, sa contrainte et son joug.” Mais encore une fois Marx n’est pas concerné par l’investigation psychologique, seul l’intéresse le fait social. Ayant constaté que l’homme se comporte à l’égard de sa propre activité comme vis-à-vis d’une activité qui est au service d’un autre, sous sa domination, il affirme que cette puissance étrangère et hostile existe bien en effet et que c’est à elle qu’appartiennent l’ouvrier et son travail. Cet autre, c’est le capitaliste, “celui qui ne travaille pas” (Nicht-Arbeiter). L’homme véritable a disparu et a fait place, d’une part, à l’ouvrier, aliéné de lui-même, d’autre part, au capitaliste; ils se confrontent avec hostilité et ni l’un ni l’autre n’est vraiment lui-même, ni l’un ni l’autre ne développe les possibilités qu’il a en lui. L’ouvrier est un homme-non-homme, un être déshumanisé, un prolétaire privé de tous les attributs de la nature humaine, à l’exception d’un seul : sa faculté de production. L’autre, le capitaliste, celui qui est “en dehors de l’ouvrier”, incarne un insatiable désir d’enrichissement, il incarne cette puissance étrangère qui transforme l’activité productive en travail aliéné - il n’est qu’à demi-humain. La personnalité aliénée et torturée s’est dédoublée. L’homme, en guerre et en révolte contre la puissance tyrannique qui le pousse à s’enrichir, est désormais partagé en deux. D’un côté, l’ouvrier, de l’autre, le capitaliste, l’un incarnant les forces essentielles, les forces productives, qui se rebellent, l’autre incarnant la puissance inhumaine. L’ouvrier représente, aux yeux de Marx, l’humanité tout entière et le dédoublement de sa personnalité, c’est la division de l’espèce humaine en deux classes, la classe ouvrière et les capitalistes. Le combat n’est plus seulement un combat intérieur, il se déroule désormais sur le champ de bataille qu’est la société. Le prolétariat est l’image vivante de l’homme-non-homme, de l’Unmensch, les capitalistes sont l’image vivante de la puissance inhumaine, Unmenschliche Macht. L’humanité est scindée en deux camps et la lutte finale va se jouer sur la scène de l’Histoire»⌛ (80)

Montréal
20 janvier 2013

Notes:
  1. B. Baczko. Lumières de l’Utopie, Paris, Payot, Col. Critique de la politique, 1978,  p. 138. 
  2. G. Lefebvre. La naissance de l'historiographie moderne, Paris, Flammarion, Col. Nouvelle Bibliothèque scientifique 1971, p. 129.
  3. Cité in A. Laurent. Histoire de l'individualisme, Paris, P.U.F., Col. Que sais-je?, # 2712, 1993  pp. 52-53.
  4. A. Vachet. L'idéologie Libérale, Ottawa, P.U.O., Col. Sciences sociales, # 13, 1988, p. 277, no. 55.
  5. A. Vachet. ibid. p. 287.
  6. M. Ferrières. Histoire des peurs alimentaires, Paris, Seuil, Col. L’Univers historique, 2002, p. 147.
  7. Cité in A. Vachet. op. cit. pp. 331-332.
  8. J. Attali. Au propre et au figuré, Paris, Fayard, 1988, p. 14.
  9. Cité in A. Vachet. op. cit. p. 285.
  10. J. Attali. op. cit. p. 277.
  11. A. Guery, in Le Débat. La Commémoration, Paris, Gallimard, Col. Folio-Histoire, # 1991, 1999, p. 308.
  12. Cité in R. Barthes. Michelet par lui-même, Paris, Seuil, Col. Écrivains de toujours, # 19, 1954, p. 80, n. 1.
  13. P. Chailan, in G. Manfredonia. (éd.)  Les anarchistes et la Révolution française, Paris, Éditions du monde libertaire, 1990, p. 65.
  14. A. Soboul. La civilisation et la France napoléonienne, Paris, Arthaud, Col. Les Grandes civilisations, 1990, p. 368.
  15. Cité in J. Attali. op. cit. pp. 301-302.
  16. Cité in H. Zinn. Histoire populaire des États-Unis, Marseille/Montréal, Agone/Lux, 2002, p. 304.
  17. Cité in J. Attali. ibid. p. 302.
  18. Cité in J. Attali. ibid. p. 315.
  19. Cité in G. Manfredonia. (éd.) op. cit. p. 296.
  20. C. Gaillard, in G. Manfredonia. (éd.) ibid. p. 35.
  21. A. Soboul. Les sans-culottes, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H41, 1968, p. 66.
  22. Cité in A. Soboul. op. cit. 1990, p. 10.
  23. J. Attali. op. cit. p. 322.
  24. A. Soboul. op. cit. 1968, p. 65.
  25. G. Lefebvre. Études sur la Révolution française, Paris, P.U.F., 1954, p. 420.
  26. R. Pernoud. Histoire de la bourgeoisie en France, t. 2: les temps modernes, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # H50, 1962, p. 244.
  27. G. Lefebvre. op. cit. 1971, p. 113.
  28. G. L. Mosse. L’image de l’homme, Paris, Abbeville Press, Col. Tempo, 1997, p. 30.
  29. G. Chaussinand-Nogaret. La noblesse au XVIIIe siècle, Bruxelles, Complexe, Col. Histoire # 7, 1976, p. 24.
  30. H. Guillemin. Silence aux pauvres!, Paris,  Arléa, 1989, p. 33.
  31. Cité in A. Kaspi. La naissance des États-Unis, Paris, P.U.F., Col. Dossier Clio, # 33, 1972, p. 61.
  32. Cité in J. Godechot. Un jury pour la Révolution, Paris, Robert Laffont, 1974, p. 268.
  33. A. Barnave. De la Révolution et de la Constitution, Grenoble, P.U.G., 1988, p. 142.
  34. C. D. Bowen. Le rendez-vous de Philadelphie, Paris, Seghers, Col. Vent d'Ouest, # 33, 1966,  p. 120.
  35. A. Soboul. La civilisation et la Révolution française, Paris, Arthaud, Col. Les Grandes civilisations, 1988, pp. 129-130.
  36. A. Soboul. ibid. p. 132.
  37. J. R. Alden. La Guerre d'Indépendance, Paris, Seghers, Col. Vent d'Ouest, # 12, 1965, p. 327.
  38. J. Michelet. Histoire de France, Paris, Flammarion, Col. J'ai lu/L'essentiel, # E/7, 1963,  p. 533.
  39. J. Hyppolite. Introduction à la philosophie de l'histoire de Hegel, Paris, Seuil, Col. Points # 153, 1983, pp. 100 et 112.
  40. J. Michelet. op. cit. pp. 546 et 551.
  41. J. Attali. op. cit. p. 308.
  42. P. Rosanvallon. Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, Col. Folio-Histoire, # 100, 1992, p. 57.
  43. J.-C. Martin. Contre-Révolution, Révolution et Nation en France, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # 250, 1998, p. 60.
  44. Cité in R. Pernoud. op. cit. p. 246.
  45. I. Kant. «Idées d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique», in Philosophie de l'histoire, Paris, Denoël/Gonthier, Col. Médiations, # 33, 1947, p. 30.
  46. P.-L. Assoun. Marx et la répétition historique, Paris, P.U.F., Col. Quadrige, # 281, 1978, p. 22.
  47. P.-L. Assoun. ibid. p. 193.
  48. B. Grœthuysen. Philosophie de la Révolution française, Paris, Denoël/Gonthier, Col. Médiations, # 42, 1956,  pp. 122-123.
  49. B. Plongeron, in S. Simard. (éd.) La Révolution française au Canada français, Ottawa, P.U.O., Col. Actexpress, 1991, p. 87. C’est déjà ce que le baron Cloots définira en 1791 : «“Qu’est-ce qu’un citoyen français? C’est un homme libre plus un fusil”. Il faut donc armer le mieux possible ce citoyen-soldat». R. Mortier. Anarchasis Cloots ou l'utopie foudroyée, Paris, Stock, 1995,  p. 208.
  50. J. Boulad-Ayoub. Contre nous de la tyrannie…, Ville La Salle, Hurtubise HMH, Col. Brèches, 1989, p. 91.
  51. Cité in A. Pons. (éd.) Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des arts, des sciences et des métiers (1751-1772), Paris, Flammarion, Col. J'ai lu/L'essentiel, # E/5, s.d., pp. 168-169.
  52. F. Cosandey et R. Descimon. L'absolutisme en France, Paris, Seuil, Col. Points-Histoire, # 313, 2002, p. 278.
  53. Cité in A. Pons. (éd.) op. cit. p. 498.
  54. B. Plongeron, in S. Simard. (éd.) op. cit. pp. 91-92.
  55. M. Leroy. Histoire des idées sociales en France, t. 1: de Montesquieu à Robespierre, Paris, Gallimard, Col. Bibliothèque des idées, 1954,  pp. 64-65
  56. H. Bergasse. Histoire de l’Assemblée, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1967, p. 43.
  57. Cité in Y. Knibielher. Naissance des sciences humaines : Mignet et l'histoire philosophique au XIXe siècle, Paris, Flammarion, Col. L'Histoire, 1973. p. 95.
  58. P. Rosanvallon. op. cit. 1992, pp. 55 et 102.
  59. G. Lefebvre. Réflexions sur l'histoire, Paris, Maspéro, Col. Textes à l'appui, 1978, pp. 268-269.
  60. Cité in S. Simard. (éd.) op. cit. pp. 39-40.
  61. G. Mairet, in F. Châtelet. (éd.) Les idéologies, t. 3 : de Rousseau à Mao, Verviers, Gérard, Col. Marabout Université, # MU371, 1978,  pp. 67-68.
  62. Cité in S. Zweig. Fouché, Paris, Grasset, réed. Livre de poche, # 525-526, s.d., p. 57.
  63. P.-M. Duhet. Les femmes et la Révolution 1789-1794, Paris, Julliard, Col. Archives, # 41, 1971, pp. 165-166.
  64. Cité in P.-M. Duhet. ibid. pp. 154 à 156.
  65. S. Bianchi. La révolution culturelle de l'an II, Paris, Aubier, Col. Floréal, 1982,  p. 88.
  66. S. Agacinski. Le passeur de temps, Paris, Seuil, Col. La librairie du XXe siècle, 2000, p. 161.
  67. Cité in A. Garrigou. Histoire sociale du suffrage universel en France, Paris, Seuil, Col. Points Histoire, # H 303, 2002, p. 17.
  68. T. Moreau. Le sang et l’histoire, Paris, Flammarion, Col. Nouvelle bibliothèque scientifique, 1982, p. 228.
  69. B. C. Shafer. Le nationalisme, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1964, pp. 106-107.
  70. G. Lefebvre. Napoléon, Paris, P.U.F., Col. Peuples et civilisations, # xiv, 1965, p.145.
  71. Cité in J. Droz. Le romantisme allemand et l'État, Paris, Payot, Col. Bibliothèque historique, 1966, p. 43.
  72. J. Droz. ibid. p. 181.
  73. K. Papaioannou. Hegel, Paris, Seghers, Col. Philosophes de tous les temps, # 2, 1962, pp. 25 et 34.
  74. K. Papaioannou. ibid. p. 83.
  75. P. Rosanvallon. op. cit. 1992, p. 131.
  76. F. Furet. La Révolution, t. 2 : 1814-1880, Paris, Hachette, Col. Pluriel-Histoire de France
    # 8550, 1988, p. 367.
  77. F. Furet. Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, Col. Folio-Histoire, # 3, 1978, pp. 274-275.
  78. J.-P. Brighelli. Sade, Paris, Larousse, Col. La vie, la légende, 2000, pp. 258-260.
  79. F. Laugaa-Traut. Lectures de Sade, Paris, Armand Colin, Col. U prisme, # 10, 1973 p. 322, n. 1.
  80. R. Tucker. Philosophie et mythe chez Karl Marx, Paris, Payot, Col. Bibliothèque scientifique,
    1963,  pp. 124-125.

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