samedi 22 juin 2013

Pierre Cornudet ou lorsque la peinture scintille de tous ses feux

Pierre Cornudet en son atelier
PIERRE CORNUDET
OU LORSQUE LA PEINTURE SCINTILLE DE TOUS SES FEUX

N’attendez pas de moi que je fasse une critique technique des œuvres de Pierre Cornudet. Malhabile de mes dix doigts, je ne connais rien en techniques des arts plastiques. Je partage cependant la vision qu’avait Thomas Mann de l’art. L’art (et la littérature) est une consolation. Telle est sa fonction première devant les défaillances humaines. L’acmé de toutes civilisations consiste en une production d'œuvres chargées d’exprimer ses défaillances et ses compensations. Elle réalise, à travers ces œuvres interpellant à la fois les sens et la raison, le contenu de ses aspirations, de ses rêves, de ses désirs - accomplis ou refoulés -, en vue de fournir un plaisir qui manque parfois à la vie, et qui manque régulièrement à la quotidienneté de l’existence.

C’est dans cet esprit que j’aborde l’œuvre de l’artiste-peintre franco-québécois, Pierre Cornudet (né en 1957 à Montréal). Fils d’un père Français et d’une mère Québécoise, Cornudet a vécu plus des vingt premières années de sa vie au Québec avant de s’expatrier en France. Atteignant la vingtaine au tournant des années 1980, il faut rappeler le contexte de la province de Québec à cette époque afin de bien situer le terreau de ses racines.

1. Une jeunesse montréalaise dans les années 1970

Le jeune Pierre Cornudet est un élève sans problème qui va à l'école - primaire et secondaire - sur le Plateau Mont-Royal, à Montréal - le même que celui des pièces et de certains romans de Michel Tremblay -, quartier où se mêlent une petite-bourgeoisie de professionnels (c'est le même quartier qui a vu naître Riopelle), et de prolétaires employés aux shops Angus, où l'on répare les locomotives et les trains pour le Pacific Canadian de l'est du Canada. Il y fréquente successivement l'école Saint-Louis-de-Gonzague et l'école Le Plateau, au Parc Lafontaine. Le jeune Cornudet arrive pour un très bref séjour au collégial, passage obligé entre le cours secondaire (lycée) et l’université, au Cégep du Vieux-Montréal. À son premier cours de philosophie (un cours obligatoire), il est frappé par la réplique du professeur : «La vie est une pensée qui se pense suspendue à une pensée qui ne se pense pas». Cette dose massive de métaphysique suffit à lui faire lâcher le collège le même jour. Il préfère aller travailler pour une compagnie de boîtes de carton, la Standard Paper Box. Dans cette entreprise, il apprend à imprimer sur une multilith, à coller des feuilles ensemble, avant de passer au département des spécifications à la photographie opérée à partir d’un immense appareil sur rail. Que photographie-t-il dans cette usine de cartons? Eh bien, des boîtes de carton! Des boîtes qui allaient se retrouver sur la feuille de spécifications qui, une fois remplie, partaient pour l’usine. Il continua de grimper dans l’échelon jusqu’à devenir le bras droit du patron.

Pierre Cornudet n’avait pas encore dix-neuf ans. lorsqu’il pensa s’embarquer pour son premier voyage en Europe. Bien coté dans son établissement, ambitionnant le rêve de tous jeunes gens de «s’établir» et de fonder une famille, le portemonnaie déjà bien garni; sa mère demeure stupéfaite d'apprendre que son fils veut se lancer à l’aventure. Ce départ répondait, selon lui, à un malaise intérieur : «Je percevais une lueur mystérieuse qui grandissait en moi, j'étais appelé ailleurs, on aurait dit que, comme l'école, j'avais atteint le moment de la rupture, et c'est ainsi que je pris la décision de me préparer à mon premier voyage». Influencé par les récits de voyage de André Brugiroux, en mars 1977 il se retrouvait à Francfort. Pour Cornudet, l’enfance finissait avec ce rêve de parcourir le monde, et ce en commençant par un survol de l’Atlantique qui les amène, lui et un comparse, en Allemagne. Après l’atterrissage à Francfort et un bref séjour chez les contacts de son ami, il fait un détour par Amsterdam où il découvre une Red Light Zone bien différente de celle de la rue Sainte-Catherine à Montréal… Deux jumelles obèses s'exhibent dans une vitrine et aguichent les passants; dans une autre, c'est une Asiatique «de toute beauté» qui «masse» un chien …pour finir par un immense splash dans la vitrine. Tout ça, à côté d'un refuge chrétien où il a trouvé temporairement le gîte. Mais, c'est dans un temple des adeptes de Krishna qu'il vient manger gratuitement, moyennant une prière. Ce sont les Krishna qui lui feront traverser la frontière de la France. Bien des années plus tard, lorsqu'il composera un tableau intitulé Mystique, c'est encore aux adeptes de Krishna qu'il pensera. Après  un bref séjour à Paris où Brugiroux ne peut le recevoir, le voilà qu'il se retrouve à l’île de Formentera, aux Baléares. Ce n’est alors qu’un «explorateur» qui se promène là où on lui piste ses trajets.


Son séjour aux Baléares dura deux mois, puis Cornudet revint à Paris où il put enfin être reçu par Brugiroux. «Homme humble et franc, sans détours», il l'invita à s’établir, gratuitement, dans l’immeuble appartenant à ses cousines qui tenaient également une brasserie.  C’est là qu’elles logeaient leurs employés marocains. Brugiroux, au cours d’un voyage en Iran, s’était converti au Bahai et offrit même à son hôte d'assister à une séance de baptême. C’est après cela, séduit par les récits de ses compagnons marocains, apprenant à goûter la musique arabe, que Cornudet se dirigea vers le Maroc. Il traversa en train, dans des conditions plutôt lamentables, la péninsule ibérique jusqu’à Algésiras.

Empoisonné par un sandwich acheté à un jeune vagabond durant un arrêt du train, souffrant de mal de mer lors de la traversée vers le Maroc, c’est en état de «loque» que Pierre Cornudet arrive à Tétouan. Il y rencontre un jeune Berbère qui le conduit dans un hôtel où il pourra enfin se reposer et récupérer. Après une nuit de sommeil, le jeune Cornudet a repris de la vigueur et son nouveau compagnon de voyage, Elhammoumy, l’entraîne au pèlerinage berbère à Moulay Abselam, voyage qu’il racontera dans son recueil, Inutile. Cornudet se souvient : «[Elhammoumy] était invité dans un mariage, c'était éblouissant, les hommes fumaient et dansaient, j'étais dans une fête époustouflante... Et puis, nous sommes allés au pèlerinage des Berbères à Moulay Abselam. Debout, au centre d'un camion à ciel ouvert, en compagnie d'hommes, de femmes, d'enfants, de chèvres.... nous avons sûrement roulé 10 à 12 h..... Je portais une djellaba, j'étais au centre du camion; c'était une transe calme. La nuit est apparue, je n'avais jamais vu autant d'étoiles dans le ciel... Un vieil homme à la longue barbe blanche prépara une petite boulette, la mit dans sa longue pipe, aspira, souffla dans sa pipe, et la boulette en feu s'envola au-dessus des têtes vers l'extérieur du camion. Du grand art! Il refit une autre boulette, me passa la pipe, y déposa la boulette, là, tous les regards se posèrent sur moi avec de grands sourires. J'ai aspiré, tourné la pipe en direction d'une bonne extraction, tentant d'imiter le vieux renard, soufflé, et la boulette s'écroula  à l'intérieur du camion dans une explosion de rire!» Pendant trois jours, les voyageurs restèrent parmi une foule humaine en prière, ne buvant que de l’eau. Puis, Elhammoumy l’invita dans son village, perdu dans les montagnes, Rouf. Ayant épuisé ses Travellers Chèques, il fut placé devant un dilemme : revenir à Montréal ou s’engager à rejoindre son premier compagnon de voyage, au Cameroun. Autre itinéraire pénible pour se rendre à N'kol Mebanga, où est situé le collège Bullier.

Ce qui ressort des premières tribulations du jeune aventurier, c'est le constat, d'abord, d'être toujours confronté à des sectes ou à des traditions religieuses fort diversifiées du monolithisme catholique de son enfance. Il loge dans des refuges religieux, assiste à des cérémonies ésotériques, observe de la fenêtre de son wagon les célébrations du dimanche des Rameaux lorsqu'il traverse l'Espagne, enfin assiste à un pèlerinage berbère (différent des pèlerinages arabes) dans le nord de l'Afrique. Et tout cela pour finir par se retrouver dans un établissement scolaire des Frères Maristes, au Cameroun, en Afrique noire. En second lieu, c'est l'accueil gratuit qu'il reçoit, tant en Europe qu'en Afrique, de la part des habitants. Comparé au There are no free lunch in America, toutes les portes s'ouvrent pour l'accueillir. On l'initie à un cérémonial du thé, la drogue court les chemins au Maroc. À peu près tout ce qui est interdit en Amérique se retrouve en circulation ouverte dans le Vieux Monde. Bref, c'est une autre ambiance qui l'invite non seulement à défier les règles conformistes québécoises, mais aussi à établir un premier contact avec la nature : «La nuit est apparue, je n'avais jamais vu autant d'étoiles dans le ciel…»

En quittant Casablanca au Maroc, Cornudet fait un premier arrêt à l'aéroport de Dakar au Sénégal, première étape d'une longue et interminable suite d'attentes. Puis c'est Abidjan en Côte d'Ivoire et ensuite Accra au Ghana... Un long chemin du calvaire qui dure quatre jours. Des attentes interminables dans l'aéroport, allant du banc où il était allongé aux toilettes les plus proches. À Douala, les douaniers s'aperçoivent qu'il n'a pas de visa, heureusement que sa destination, le collège Bullier, était connue, jouissant d'une grande réputation, d'où que les fonctionnaires le laissent passer, s’en remettant aux décisions de leurs collègues de Yaoundé. Grâce à une hôtesse de l’air qui habite la capitale, il peut obtenir gîte et transport jusqu’au Collège Bullier où il finit par arriver : «Le soleil était un astre dévorant. J’ai frappé. Un homme apparu, étonné par ce qu’il y voyait! Un jeune homme de dix-neuf ans, les cheveux dans le dos, un tout petit sac avec un drapeau québécois, deux caleçons, une paire de chaussettes d'hiver; un jeune homme éblouit qui avait perdu trente livres en cinq mois! J'étais là! Il n'en revenait pas ce Frère Mariste de cette vision». Chambre, douche avec eau chauffée par le soleil, un lieu paisible et sécuritaire;  Cornudet retrouvait le mode de vie occidental.

Une fois remis de ses malaises et de ses émotions, Cornudet était accepté par le Supérieur du collège Bullier. Ce collège Bullier était dirigé par les Frères Maristes qui l'avaient construit. En juillet, au moment de l’arrivée de Cornudet, les élèves étaient repartis dans leur famille et tout était relativement calme. Autour du collège vivaient trois tribus de la famille des Bétis : les Etons, les Ewondos et les Manguissas. Il y avait, dans la mission, trois Québécoises, des sœurs de Sainte-Croix, trois sœurs de Saint-Paul-de-Chartres : une française, une suisse et une vietnamienne. Le curé de l'église était un père capucin d’origine alsacienne. Cornudet est vite recruté par l’un des frères surnommé le «Frère Capable» par les habitants. Il veut construire une bibliothèque qu’il doit terminer avant la rentrée scolaire. L’ancien conducteur du tracteur, un Camerounais, était mort écrasé sous les roues du véhicule. Comme aucune mort n’est naturelle dans la pensée religieuse des habitants, personne ne voulait plus conduire le tracteur possédé. Aussi, Cornudet est-il engagé à conduire le tracteur et sa remorque pour aller chercher du sable pour la construction des parpaings (un matériau de construction creux). En dehors des heures de travail, Cornudet fait son jogging, ce qui lui permet d’explorer les environs. Sa situation normalisée, il peut désormais s’éloigner du collège. Les Camerounais apprennent à le connaître. Le prenant d'abord pour une fille, ils le surnomment Mongo agbélé avoui lon, l’Enfant aux Longs Cheveux. Ceux-ci l’observent d’abord à distance, puis se présentent progressivement à lui, en particulier les enfants. «Une horde d’enfants en loque, nu pieds, si jeune…» Ils se mettent à jouer au basket avec lui. Pendant ce temps, les travaux de la bibliothèque aboutissent rapidement. D’aussi loin que vingt kilomètres, dès cinq heures du matin, le Frère Capable est averti qu’il y a un problème dans un village lointain. Dans cet univers encore bercé d’animisme, le Frère Capable doit apparaître comme une sorte de magicien.

L’expérience animiste semble être l’héritage le plus appréciable que Cornudet ait tiré de son séjour au Cameroun. Nous y reviendrons plus loin. Après le constat de la nuit constellée d’étoiles, il s’exalte «devant tant de pauvreté, de simplicité, de vie et de mort, de la vie avec la joie de ces enfants qui avec un seul ballon trouvent leur bonheur; de la mort quand un de ces enfants manque à l’appel car il est mort de malaria pendant la nuit. Cette vie frénétique, cette mort implacable, cette sensation de n’être qu’un morceau de viande face à la nature dévorante». Le voyage de Cornudet prend la dimension d’une «expérience mystique», du dépouillement et de la nécessaire réaction vitaliste qui l’accompagne. C’est, également, une expérience de régression de la vie religieuse. En même temps, le sentiment imprécis d’une continuité entre les institutions religieuses des religions supérieures, comme le Christianisme, et le sentiment religieux des origines, de l’animisme qui voit en tout être de la nature l’expression d’une surnature inconnue et parfois inquiétante. Jusqu'à ses plus récentes œuvres, les animaux et les objets de Cornudet semblent habiter d'une «âme» mystérieuse dont on ne saurait dire si elle est d'origine divine ou maligne.

Ayant normalisé son visa de séjour, Cornudet veut rassurer les siens, au Québec. Il écrit donc une lettre au Cardinal démissionnaire de Montréal, Paul-Émile Léger, qui avait repris sa vocation missionnaire en s'installant au Cameroun, dans laquelle il lui explique l'inquiétude des siens. Léger lui propose alors de leur écrire pour les informer. «Aux membres de ma famille, aux collègues de travail, aux amis il leur expliqua que j'avais trouvé ma voie, que je faisais un travail admirable, que tout était sous contrôle. L'impact de ses lettres fut très positif». Entre temps, le collège l'engage comme professeur d’éducation physique. Au cours de septembre, en un matin, environ 650 élèves surgissent de la brousse, qui vont venir habiter dans la région le temps de la saison scolaire. N’ayant pas fait d’études collégiales, Cornudet devient professeur, non sans une certaine gêne : «J’allais transmettre mon jeune savoir tout en sachant très bien - cette conscience a toujours une bonne accompagnatrice -, que j’étais élève et je le resterais pour toujours». L’expérience de la mort le tenaille. Devant sa maison, alternativement, défilent des cortèges de zébus, richesse naturelle du pays, et les cadavres des enfants morts de maladie. Au cours de ces huit mois, malgré l’expérience hors du commun qu’il vit au Cameroun, le mal du pays commence à se faire sentir.



Exemple de métissage culturel. Percé
2. Naissance dalinienne d'ÀNoNyMe SaNrEgReT

Pierre Cornudet se sera absenté du Québec durant treize mois en tout. Mais l’idée de voyage l'obsède encore dès son retour. Quelques semaines après son arrivée, il aperçoit dans une tabagie de la rue Mont-Royal le livre d’Elzéar Duquette, un globe trotter qui parcourait le monde à pied, son cercueil monté sur deux roues qu'il tirait de la seule force de ses bras! Derrière, il avait installé une douche munie d'une sorte d'entonnoir. Il devait aller chercher l'eau et l'y déverser. Le tabagiste lui apprend qu’il réside au-dessus du commerce et l’invite à aller le visiter, puisque c’est une personnalité accueillante. Cornudet y retournera à plusieurs reprises écouter les mésaventures de ce voyageur sans bagages …outre son cercueil. Autrement, Pierre Cornudet ne parvient pas à se fixer. Il ne veut pas retourner à la Standard Paper Box, s’occupe d’un tournoi de baseball Pee-Wee pour le Centre Immaculée-Conception tenu au Parc Lafontaine. Côté emploi, il va d’une job à l’autre. Il agit par intuition, sur des coups de tête. Tantôt, c’est un voyage à Gaspé, tantôt une équipé avec un ami, en automne 1979, à Vancouver. Six jours de route avec deux cents dollars en poche, dans une Pontiac bleue, c’est le road trip des beatniks traditionnels.

Arrivés à Vancouver, les voyageurs se pointent à une adresse où est sensé résider un Québécois. Il s’agit d’une résidence «aux allures de petit château avec un dernier étage octogonal sur une rue bordée» de grands arbres épanouis. L’occupant, Québécois comme eux, était lui aussi en transit et les invite à demeurer jusqu’au jour de son départ. Mais les problèmes d’argent et le manque de cigarettes forcent les visiteurs à se trouver de l’emploi : serveur, bus boy dans des restaurants, laveurs de vaisselles, emploi dans la construction, Cornudet touche de tout. De nouveaux locataires vont et viennent dans la maison. Des artistes, dont l’un d’eux, un autre Québécois, joue de la contrebasse. Dans ce petit univers marginal, tous s’échangent expériences de vie, sentiments, émotions. Une fraternité de chercheurs de trésor, dit Cornudet. Occupant la fameuse pièce octogonale, Cornudet est victime d'un retour de malaria. Grelottant et dégoulinant de sueur, comme dans une transe, il revoit tout son voyage «comme si j’avais été touché par la grâce». Il y avait à apprendre partout : le monde comme une vaste école aux multiples matières. «Une énigmatique sensation m’amena à pleurer, déversant des torrents dans un immense sourire». La sensation mystique lui révèle la poésie, mot «scintillant d’allégresse». Du groupe de Québécois, il sera le seul à prendre l’avion pour aller voter au référendum de 1980. Il alla habiter chez ses grand-parents, vivotant en tout sens, appuyé sur la stabilité que représentait la famille. «Le résultat du référendum aura été l’ingrédient qui ajouté à tout ce que je venais de vivre, aura été le point de départ de mon choix de me présenter en ÀNoNyMe SaNrEgReT». Dans ce contexte, Pierre Cornudet écrira ses premiers poèmes qui retiendront l’attention des membres d’un jury pour une nuit de la poésie tenue à Boucherville.
 

Cornudet avait donc vingt-trois ans au moment où les Québécois répondent non au référendum sensé ouvrir sur l’auto-détermination du peuple québécois. Il en aura vingt-cinq quand le gouvernement du Canada imposera au Québec, qui lui refuse son accord, une «Constitution» dont la principale nouveauté est une Charte des droits et libertés qui fait passer les droits individuels devant les droits collectifs ou, plus précisément, qui ne reconnaît nullement les droits collectifs alors que les droits individuels servent à la promotion de groupes d’intérêts de toutes natures. Culturellement, les années 1980 confirment l’essoufflement des deux générations de la Contre-culture des années 50 et 60. que célèbre, ironiquement, Cannabis Montréal, dont le dessein évoque la structure d'une véritable mosaïque. L’ère du disco et du consumérisme s’épanouit au détriment d’une imagination que les étudiants révoltés de mai 68 voulaient porter au pouvoir. Cornudet appartient donc à cette jeune génération à qui les autorités de l'époque tenaient à vendre l’idée du Québec inc., c’est-à-dire d’un homo quebecensis nouveau, entièrement absorbé par le monde des affaires, du profit. et de la réussite à tous les niveaux.

Pendant trois jours, donc, Cornudet écrivait sans arrêt, emporté, envoûté. Son premier titre sera Acheter poésie à jeter. Et son nom de guerre? ÀNoNyMe SaNrEgReT, majuscules et minuscules alternées. Sa poésie parle d’un clochard vagabondant dans Montréal et fabriquant de la poésie avec les déchets, les poubelles, les excréments. D’un autre côté, Cornudet ne connaît personne dans le monde ni de la poésie, ni des arts. Ce n’est donc pas sans audace qu’il se présente devant le jury, assez coriace d'ailleurs, évaluant les postulants afin de retenir le nom des poètes qui se produiront à la Nuit de la poésie. S’improvisant pour la dernière audition, il captive tout le monde en montant sur scène et en tenant le jury une demi-heure avec son texte. À la fin, il lance : «Acheter poésie à jeter» et lance toutes ses feuilles dans les airs. ÀNoNyMe SaNrEgReT se découvre un talent pour les effets scéniques. Aussi, incapable d’absorber la rengaine des élites de l'époque, il chercha sa voie à travers un ensemble de média. Comme ce n’était pas encore l’ère du multimédia et des technologies numériques, il se mit à tâter de tout.

À travers tout ça, le patron de son copain qui travaillait dans la construction à Vancouver lui offre la possibilité d'un emploi (au noir) : un séjour de quinze jours au nord de Whistler dans une mine d'argent à ciel ouvert. C’était faire en deux semaines le salaire d’une année! Deux semaines en décembre, juste avant Noël. Le campement plus que modeste. Le travail commence par une série de dynamitages faisant jaillir de surprenantes richesses. Remplissage d’un baril à tous les quinze minutes que venait chercher un hélicoptère. Tout ça, sous les bourrasques de neige, à - 50º C.! Toilettes dans les bois, deux semaines en fait sans changer de vêtements, laissant la sueur sécher sur la peau. Les deux derniers jours équivalèrent à un travail de forçat. L'hélicoptère venait chercher les mineurs pour les amener dans une gare où était érigé un immense hangar. Là on y accumulait les morceaux d'argent récolté à la mine. Les mineurs passèrent la journée avec une masse à frapper les roches amassées pour en faire des petites pépittes qui allaient se retrouver dans une machine. Le soir, à la taverne, il était interdit de s’adresser aux Indiens afin d'éviter des confrontations hostiles. Toute l'opération tenait du secret d’État. Tout ce stock d’argent partait pour les États-Unis. Les mineurs étaient payés avec des billets de cent dollars. Ce fut suffisant pour payer un retour à Vancouver pour la Noël, un vol pour Montréal pour le nouvel an 1981,  puis de nouveau à Vancouver. C’est là qu’il écrit un récit, Sperman, l’homme du XXe siècle. Cornudet finit par s’intégrer au monde des arts du Plateau Mont-Royal. Il revient lors de la deuxième Nuit de la poésie de Boucherville; se voit invité à la Place aux Poètes de Janou Saint-Denis; il passe même une journée dans une vitrine d’une librairie, coin Marianne et Saint-Hubert, dans un décor de poubelles, de livres de poésie aspergés de ketchup, mayonnaise, moutarde. Cela convenait à son goût pour la performance. Son premier band, Fuite illégale, l'ouvre en effet à la chanson et à la performance. À la fin de 1981, il met en scène son propre harakiri publique …avec le micro, bien sûr, à la Place aux Poètes. Il passera ainsi toute l'année 1982, «au pied du micro», avec des poèmes mis en chanson par ses bands, Tuyaux d'extase, puis Anonyme et les espions.


Dans l’esprit des années 80, il s’agit d’être irrévérencieux, et un club comme les Foufounes électriques, de la rue Sainte-Catherine, devient l’un des endroits où Pierre Cornudet se produit. On l'y retrouve, en 1983, avec un groupe formé par  le guitariste Stéphane Delaney et les trois souris (trois femmes déguisées en souris) lorsqu'il donne La Guerre bactériologique. Autre spectacle qui s'auto-détruit à la toute fin. Parallèlement, il publie un album illustré, Inutile (1984), dont le lancement donne prétexte à une autre performance : Le public, les tomates et le poète pour cible. ÀNoNyMe SaNrEgReT y apprend qu'il ne faut pas trop se risquer à servir de cible aux spectateurs. Les tomates ne cessent de pleuvoir. Il en reçoit une qui lui poche un œil. C'est alors qu'en retour, il montre ses fesses au public. Il hurle sa colère dans une entrevue à la radio de Radio-Canada. D'autre part, toutefois, Cornudet apprend également à gérer des responsabilités en devenant secrétaire de l'Association des illustrateurs et illustratrices du Québec. En 1985, il s'essaie - et ce sera sa seule expérience - à un exercice d'Écriture en direct, avec Désir et dégoût. La poésie d'ÀNoNyMe SaNrEgReT appartient au genre que l'époque qualifie de poésie urbaine. Cependant, elle véhicule en elle, comme par anti-tradition une vision négative de la ville qui était celle de la traditionnelle poésie du terroir. La poésie du terroir disqualifiait la ville pour mieux idéaliser la campagne. La poésie urbaine, et parmi elle, la poésie d'ÀNoNyMe SaNrEgReT, disqualifie la ville pour ce qu'elle montre, pour ce qu'elle est dans ses travers. Ici, nul lieu n'est idéalisée en contrapposto avec les côtés sinistres ou sordides de la ville. Longs poèmes où s'étalent le mal de vivre du grand centre urbain qu'est devenu Montréal dans le second XXe siècle, non sans une touche de moralisation conventionnelle, ÀNoNyMe SaNrEgReT parvient, en traduisant ses expériences vécues, à trouver le rythme qui donne une couleur à la sonorité. Dans Kwik Wash, le texte est plus court, plus circonscrit autour du rythme de la lessiveuse que la répétition de la rime anglaise enserre autour de l'expérience des drogues comparée à une forme de «lavage de cerveau»  :
Sanaa - Yémen du Nord - j'ai trouvé - feuilles de qat - kwik wash

Marrakech - Maroc - j'ai trouvé - pipes de kif - kwik wash

Sierra Madre - Arizona - j'ai trouvé - bulbes de peyotl - kwik wash

Bucaramanga - Colombie - j'ai trouvé - lignes de coke - kwik wash

Kwik wash
à la recherche d'une buanderie
Kwik wash
mon sac de linges sales dans le cerveau
Kwik wash
juste pour voir la féerie
Kwik wash
et oublier que je suis devenu un robot

Kaboul - Afghanistan - j'ai trouvé - grammes de H - kwik wash
Nanortalik - Groenland - j'ai rien trouvé - mais je suis gelé - kwik wash
L'expérience poétique d'ÀNoNyMe SaNrEgReT va finir par délaisser les lettres pour se porter, comme par une invitation circonstancielle, vers l'art. Il expose, toujours en 1985, Latex et feutre sur chaise en bois, et Feutre sur carton, dans le cadre d'une manifestation sur Marcel Duchamp. C'est après qu'il s’embarque pour une tournée pan-canadienne avec le groupe musical Touché. Durant plus d’un mois, ÀNoNyMe SaNrEgReT et ses partenaires présentent des «performances» où se mêlent différents genres d’art. Il y développe son style en peinture. Déjà les lignes serpentent, s’entremêlent, créent des labyrinthes, prennent des formes qui ramènent au réel. Si le célèbre Nu descendant l’escalier de Duchamp pouvait être le cheminement du réalisme cubiste vers des formes géométriques de plus en plus abstraites, le cheminement de l’art de Cornudet part de l’abstraction des lignes pour nous acheminer vers la forme réaliste. Un an plus tard, en 1986, Cornudet mettait un terme à sa carrière musicale avec le groupe Services essentiels en participant au lancement du disque-vidéo Ultimatum. S'il se rend, durant l'été 1986 à Paris, en compagnie du sculpteur breton Yves Le Marrec qui effectue ses premiers travaux sur ordinateur, il revient à Montréal pour l'événement du 17 octobre, où il donne sa première lecture publique du Manifeste des poètes publicitaires, à la galerie Espace global. Parallèlement, il participe à un événement de peinture en direct aux Foufounes électriques, une toile de 3x4 pieds, la première exposition s'intitule Apprenti.

Cornudet joue généralement de chances. Mais, lors du concours de peinture sur voiture, il subit la foudre du jury qui n'apprécie guère le jeu de mots du titre de l'œuvre, Autodidacte, en le mettant hors jeu, ce qui lui fit perdre l'enjeu de la compétition : des bons d'achat pour les Galeries d'Anjou (le temps où l'on couronnait les vainqueurs avec des feuilles de laurier est bien passé); mais cette déboire ne l'empêche pas de récidiver, à Paris cette fois, au concours de l'école nationale supérieure des beaux-arts, où il réalise une nouvelle performance, le bras droit dans le plâtre, peignant de la main gauche : Inopportune fracture. Il gagne sur tous ses camarades québécois du Mouvement de peinture en direct. Entre 1987 et 1991, ÀNoNyMe SaNrEgReT participe à près de soixante manifestations de peinture en direct aussi bien au Canada qu'en Europe, estime Jean-Michel Lenaud. Il contribue également à une quarantaine d'expositions, du Centre culturel canadien à Paris (1988) à la Ruelle Chateaubriand à Montréal (1989) en passant par Yverdon-les-bains en Suisse (1990) et le Carrefour des arts de la francophonie à Toulouse la même année. Durant toutes ces années, Cornudet était en quête d'un créneau artistique qui lui soit propre. Où il puisse s'exprimer à son aise et le plus profondément. Après sa participation à la tournée du groupe  Touché, dont les spectacles se faisaient en français dans l'ouest canadien, il écarte définitivement l'option de la chanson, mais non pour autant de la poésie écrite. Car, il était encore possible, à cette époque, d'être frondeur sans tomber dans cette obscénité qui préluda à l'ère de l'outrageous, qui sera celle des années 1990. Pierre Cornudet visait à l'extravaganza. Si sa production semble s'assagir avec les années, c'est davantage à cause du contact avec le monde extérieur. ÀNoNyMe SaNrEgReT vend. Ses œuvres sont achetées par des collectionneurs du monde entier : New York, Los Angeles, Lausanne, Paris, Montréal, Dakar, Québec, Saint-Malo et à bien d'autres endroits. Honnête avec lui-même, ÀNoNyMe SaNrEgReT refuse de s'asseoir sur ses succès et se tient encore pour bien vivant.

Portrait du libraire Bruno Lalonde
Ses diverses expériences artistiques nous montrent surtout une prise de contact avec la matière. Il commence par des découpages et des collages, car rien de plus simple pour exprimer l'appel au voyage que de coller trois tickets de transfert de métro avec le revers de l'un d'eux au centre qui sert également de publicité pour une chaîne de fast food. Tout en témoignant de la pauvreté de l'artiste, les tickets collés sont chapeautés par un proverbe américain qui dit qu'il ne suffit pas d'avoir des pensées, mais qu'il faut les réaliser avant que d'autres ne le fassent. C'est cette inspiration qui animait déjà le jeune Cornudet lorsqu'il s'embarqua dans différents bands, puis à poursuivre une tournée d'artistes bohèmes dans l'Ouest canadien. Mené par cette audace, il est parvenu à se faire connaître, dans un temps relativement court, des milieux artistiques francophones. Le pointillisme qu'il utilise pour ses sérigraphies Zozoe Fon Fon tout comme les lignes vermiculaires qui deviennent, avec le temps, sa signature propre, parviennent à maturité dans la dernière décennie du siècle. En 1991, il expose à la galerie de l'Université du Québec à Hull les Valeurs sûres. Puis, une nouvelle série, Oubliez-moi autour des monuments funéraires de l'Égypte ancienne, puis les édifices connus de Paris, dont la Tour Eiffel. En pleine transition entre la poésie écrite et l'œuvre plastique, Cornudet va commencer par des tableaux écrits. Établi au tournant des années 1990 à l'atelier Cérat, à Montréal, c'est là qu'il entreprend des séries nouvelles, telle Semer. Oubliez-moi, est la dernière exposition personnelle d'ÀNoNyMe SaNrEgReT à Montréal en 1991 et reprise l'année suivante à Paris dans le cadre de Semer. Étrange paradoxe, lorsque le carton d'invitation porte une citation de T. E. Lawrence, masqué en son centre par l'étiquette «Oubliez-moi!» : «En somme je pense que ne rien faire est mieux qu'agir et je crois que l'humanité atteindra son apogée le jour où elle décidera de ne plus se livrer à des créations artistiques». Ce qui reliait au jeu de mots des lettres masquées «Défense de fumer» pour ne plus garder que le mot : «SEMER». Le grand carton fut imprimé à 1,000 exemplaires et «SEMER» à 2,000. SEMER " à l'intérieur du grand carton incluant le 1er texte à mon sujet de J.-M. Leniaud  Paradoxe car la citation semble contredire la phrase qui surmontait les tickets de métro de son collage reproduit plus haut. Quoi qu'il en soit, ÀNoNyMe SaNrEgReT n'a jamais été homme à s'abandonner à la chance; c'est lui qui s'est précipité au-devant d'elle pour la provoquer, par son audace et sa détermination. Partout, il a improvisé, il a «performé», il a participé à des modes d'expression en quête de celui qui répondrait le mieux à ses goûts, à ses talents, à ses aptitudes et à ses aspirations. ÀNoNyMe SaNrEgReT, né en 1980 (aux lendemains du référendum perdu) et qui va mourir en 1997, (deux ans après le second référendum, perdu également), porterait-il en lui une dose de traumatismes qui finirait par l'exiler définitivement hors du Québec?


Avec le temps, et la série des Semer en témoigne, les mots sont absorbés par le dessin. Pour le moment, il évacue ses mauvaises humeurs et s'abandonne à ses «créations artistiques», comme cette curieuse construction qui évoque un canard au mouvement perpétuel. Cubisme? Constructivisme? Hommage au canard de Vaucanson? C'est le balancement que l'artiste essaie de saisir dans ses différents mouvements. Les couleurs vives annoncent ce qu'il parviendra à réaliser lorsqu'il utilisera l'acrylique phosphorescent à partir de la fin de la décennie 1990. Ici, le mot TOI semble s'adresser à quelqu'un en particulier, comme un portrait d'un être instable, indécis. Être individuel? Être collectif? Les deux à la fois? L'influence de Duchamp est encore perceptible dans ce tableau. Si les couleurs sont présentes davantage que les mots, les lignes cursives évoquent ce que seront les formes vermiculaires des futurs tableaux. C'est ainsi que nous pouvions le voir travailler à l'époque. Mais les compositions scripturaires sont  nombreuses, au point même que ce ne sont plus que de grands panneaux. Il y en a un qui reprend une phrase du poète Paul Chamberland : «Devant un tel constat, il est préférable de parler discrètement de la beauté du monde». Il est difficile ici de ne pas y entendre un écho des dernières paroles de la poétesse Huguette Gaulin : «Vous avez détruit la beauté du monde», prononcées le 4 juin 1972, sur la Place Jacques-Cartier à Montréal, juste avant de s'immoler par les flammes à l'âge de 28 ans. À coté, des cases où Cornudet s'exerce à la calligraphie. Le fond du tableau est déjà parcouru par les formes vermiculaires. Si les mots, les mots sont tout-puissant, comme le chantait Robert Charlebois, ici ils arrivent encadrés par une composition qui reprend l'idée dominante de Semer : il faut oublier les actions, les gestes inappropriés pour se concentrer sur l'inspiration créatrice. En ce sens, Cornudet est un bergsonien qui s'ignore. Contre la mentalité du Quebec inc. qui suivit la culbute référendaire, la poésie, l'art, optent pour une autre stratégie.


 
Car, la politique ne sera jamais le sel de l'œuvre artistique de Cornudet. Son regard critique est apaisé par la contemplation de la nature, de l'enfance, des animaux. Pourtant, durant sa jeunesse sur le Plateau Mont-Royal, enfant dans la cour de l'école Saint-Louis-de-Gonzague (sur Rachel est), au moment de la récréation, une puissante explosion projette par la fenêtre un travailleur hors de la manufacture de chaussures Lagrenade, le 5 mai 1966 (Cornudet avait alors neuf ans). À son témoignage, les professeurs pressèrent de faire rentrer les enfants dans la petite école. C'était le résultat d'un attentat du Front de Libération du Québec (F.L.Q.), mais aussi une première confrontation, particulièrement violente, avec le politique. Trente ans plus tard, contre la pénombre d'un Québec, certes non plus obscurantiste comme autrefois, mais encore borné et paresseux - sinon peureux -, il produit tout de même une œuvre cynique et grinçante pour le cinquantième anniversaire (1992) du débarquement manqué de Dieppe. C'est un ouvrage intéressant à plusieurs points de vue. Rien de sanglant ni de larmoyant dans ce tableau découpé en quartiers. La carte géo-physique de la France, patrie de son père, traversée par une croix gammée nazie. Le long des rives océanes, des formes qui évoqueraient les navires alliés. Le côté sombre du montage s'arrête-t-il à ça? Non. Presque à la croisée de la croix gammée, apparaît une tête de Mickey Mouse avec le drapeau du Québec dans la gueule, et tout en bas, à droite, une canette de Pepsi. À l'époque où l'on se partageait entre le Coke et le Pepsi pour qualifier le goût des Québécois en matière de colas et où la publicité de Disneyworld rappelait l'impérialisme culturel américain, Cornudet condensait la critique de ce débarquement - qui fut un sacrifice que les stratèges de l'époque justifiaient comme «nécessaire» et que les historiens d'aujourd'hui considèrent comme un pur envoi à l'abattoir -, avec un processus d'invasion culturelle aussi pervers - sinon plus - par les produits délétères de la consommation américaine. Cette critique, qui vise davantage l'impérialisme culturel américain (tant il est agressif et efficace) que l'impérialisme allemand (qui relève du passé historique), prend la société de consommation à revers. Bien sûr, il y a une réplique à Warhol dans tout ça; des tableaux de qui on peut dire que boîtes d'Oxydol ou conserves de soupe Campbell's, il y avait là autant d'«autoportraits en consommateurs», mais ce thème, récurrent dans l'œuvre de Cornudet, dévisage, défigure tout autrement l'homme de la consommation tout azimut. Les bouteilles de bière Miller et Dow (qui fit, en 1966 dans la région de Québec, une vingtaine de morts suite à l'emploi de sel de cobalt afin de rendre la bière plus mousseuse) et autres contenants aux étiquettes dégradées par le travail de l'artiste, agissent comme la figure de Dali en tranche de bacon : fondante et dégoulinante. Cornudet, devant la sexualité où les seins deviennent de véritables regards hypnotiques, dénonce, à sa façon, l'obsession mammaire du désir sexuel des Nord-Américains. Plutôt que de sombrer dans la nécrose de nombreux autres critiques de la sexualité immature, Cornudet s'en amuse, comme un enfant espiègle et égrillard. De la bière au lait, on le sait, il n'y a qu'une mince ligne que les buveurs savourant la «broue» cobaltée de la bière Dow franchissaient à l'issue d'une soirée de soulerie à l'une ou l'autre des tavernes miteuses du Plateau Mont-Royal. Cornudet avait trouvé sa voie. De l'atelier Cérat se mirent à sortir des tableaux qui n'avaient de politiques que la métamorphose de formes abstraites en réalités qui s'en dégageaient et pouvaient prendre des apparences totalitaires. Ainsi, dans ce tableau où le Vainqueur apparaît comme une sorte de Léviathan qui s'élève de la masse grouillante de vers et de boutons, tandis que sa couronne prend les apparences d'un bonnet de pitre. Encore, lors des manifestations étudiantes de 2012, comme le montre sa fleur de lys rouge sur fond rouge (évocation du fameux carré rouge porté par les manifestants) qu'il a fait parvenir à son ami, le libraire et militant Bruno Lalonde, Pierre Cornudet ne reste pas insensible à ce qui se passe au Québec. Établi en France, sa pensée trouve peu d'échos dans les partis politiques; comme il le dit lui-même, il est de l'école de Jean Moulin, l'artiste, le député radical-socialiste, le chef de la Résistance, torturé et assassiné par la Gestapo. Pour lui, l'œuvre peinte apparaît comme une affirmation politique qui se passe à la fois de théories et de rhétoriques racoleuses. Elle s'exprime par ces motifs qui ressemblent à de petits vers grouillants autour de boutons de fleurs sur la texture de la matière, à la fois putréfaction et bouillon de cultures. En dehors de la vie urbaine hystérique de son temps, il parvient à conserver la dimension politique de son art en refusant la propagande. Comme Candide, il semble vouloir retourner à la culture de ses plans de salade, et ceux-ci lui donnent une vision poétique qui reviendra souvent dans sa production ultérieure, au cours des années 2000, lorsque ces choux auront pris la taille de «boutons» floraux.


Le goût du spectacle et de la mise en scène n'a jamais quitté Pierre Cornudet. Ses expériences de la scène des années 1980 n'avaient qu'accru sa fantaisie pour les déguisements ou de la pose photogénique. Profitant d'un physique agréable, en 1983, la photographe Monique Bisson réalise plusieurs clichés de Cornudet. Celle-ci a su parfaitement saisir la personnalité de l'artiste dans sa pose de Gavroche du Plateau Mont-Royal. Les années ne lui ont pas enlevé cette figure d'enfant qui regarde l'objectif comme il doit regarder la matière lorsqu'il la travaille patiemment, tant la complexité de ses œuvres exige un travail minutieux et laborieux. Car Cornudet n'est pas un génie précoce. Il n'est pas Pic de la Mirandole, Raphaël, Mozart, John Stuart Mill ou Modigliani. Il est vrai que la vie brève de certains artistes donnent l'impression d'une poussée talentueuse et géniale précoce. Ce ne sont-là que des exceptions qui confirment la règle. Comme pour le travail intellectuel, la maturité artistique s'atteint souvent au bout d'une lente progression qui peut s'étendre sur toute une vie. Ce qui a avantagé le développement de Pierre Cornudet, c'est qu'il a trouvé très vite son mode d'expression, ses thèmes qui, même en s'ajoutant au cours des années, ont fini par créer un univers-Cornudet, ce que nous verrons plus loin. Ses années québécoises ont été ses années de formation, non seulement en tant qu'artiste, mais surtout en tant qu'homme. Voilà pourquoi le Québécois sera toujours très près de l'exilé. Cornudet n'a jamais renié ses origines québécoises. Son goût d'explorer le monde est une quête des origines et surtout pas une fantaisie dilettante pour le tourisme. Et ce goût, il le puise dans son monde de l'enfance, dans celui des contradictions lassantes des Québécois et dans la curiosité qui est indispensable pour tout artiste. Ainsi, dans une magnifique photographie de Bisson, le voit-on se tenir en équilibre, un sachet de tabac entre les dents, en train de se rouler une cigarette. Songes en équilibre? Cela ne fait aucun doute. Il faut s'engager dans le jeu. Sans le jeu, il n'est aucun véritable rapport entre ce que nous entreprenons et ce que nous parvenons à accomplir. Dans le monde de l'art, la valeur de l'utilité sans joie n'est pas primordiale contrairement aux autres domaines qui assurent la survie de l'espèce. Aussi, si dans la vie nous perdons l'équilibre, ne sombrons-nous pas dans l'esprit de fatalité qui n'est en rien démonstration du sort réservé à chaque Être? En art, le jeu a pour corollaire la liberté. Et la liberté est exigeante. Pour tous les artistes ou les lettrés qui ont la part maudite de la liberté à payer, ils savent que celle-ci est tout, sauf gratuite.

Dans le jeu, il y a le déguisement, et Pierre Cornudet aimera toujours se déguiser, se maquiller, porter des vêtements ou des objets insolites, voire kitsch. S'il a l'air si sage dans les poses que lui suggère Mme Bisson, la quête de l'extravaganza est toujours là. Elle est là pour la joie du jeu, mais aussi pour faire contraste avec la banalité du quotidien. Car rien n'est plus dangereux que se laisser submerger par l'ennui et la fatalité. En ce sens, son œuvre artistique vise à désamorcer cette fatalité de la vie utile qui tend à désintégrer la condition et la valeur de l'Être humain. C'est ce qu'il veut encore dire, trente ans plus tard, quand pour l'anniversaire de son ami, le libraire Bruno Lalonde, il lui envoie cette photomontage d'Alain Francœur qui le met en scène dans la robe que portait Marilyn Monroe lorsqu'elle chanta Happy Birthday, Mister President peu de temps avant sa mort tragique. Le déguisement n'a pas pour but tant de défier la mort que de la dédramatiser. Comme les formes vermiculaires qui grouillent en serpentant sur les  surfaces des œuvres plastiques de Cornudet, sa métamorphose en Marilyn Monroe vise à nous réconforter : la mort n'est pas ce qui peut nous arriver de pire. La dégradation qui entraîne le pourrissement de la vie au-delà de sa durée est décidément un malheur encore plus grand. Que serait-il arrivé de Marilyn si elle avait survécu à elle-même? Si elle avait laissé son icône la dévorer jusqu'à ce qu'elle atteigne un niveau de dégradation comparable à celui qu'atteignit Elvis Priestley? Tout le problème est là. Quand le jeune Cornudet voit sa génération appelée par les autorités québécoises à penser à s'enrichir au risque de le payer de la pire banalité quotidienne, il ne peut embarquer dans ce miroir aux alouettes. Il ne pouvait que constater dès lors le désenchantement des résultats d'une société qui avait toujours résisté aux changements, tout en vantant les bienfaits du progrès. Décharnée comme une vieille peau, la société québécoise n'ayant rien de plus à offrir à sa jeunesse, la sensibilité à la dégradation civile et culturelle exigeait de vivre sa vie sur des horizons différents. Déguiser un ancien Gavroche, en Marilyn Monroe est au-delà de ce que l'Imaginaire même peut imaginer! Mais, ce faisant, Cornudet adresse toujours la même critique virulente à la société québécoise qu'il lui adressait du temps où il se maintenait en équilibre, un sachet de tabac entre les dents, devant l'objectif de la caméra.


3. Les Figures du Père

À peine remarque-t-on la croix occitane sur son chandail, dans les clichés pris par Mme Bisson. Mais elle n'en est pas moins importante pour autant. On la retrouve dessinée sur certaines enveloppes par Pierre Cornudet envoyées à des proches. Encore, dans l'exposition tenue à la librairie Le Livre Voyageur, en juin 2013, on peut la voir sur un tableau intitulé précisément, Croix occitane. Les Cornudet proviennent de différentes régions du centre et du sud de la France. Pierre Cornudet, québécois, devient Pierre Le Cornudet en France. Qu'il aille s'installer à Béziers, ville où Simon de Montfort et Arnaud Amaury enfermèrent les Cathares dans l'église pour les y faire brûler («Dieu, reconnaîtra les siens»), exprime une appartenance qui n'est pas celle à la France d'oil. Aussi, lorsqu'il va à Paris, son regard reste celui d'un Québécois. Pierre Cornudet peint des tours Eiffel comme n'importe quel artiste étranger à l'Île-de-France. Lorsque sa carrière de peintre était fixée au Québec, il participa à des expositions qui le conduisirent jusqu'en Europe. Ce fut l'occasion pour lui de se faire connaître en France et en Suisse au cours de la décennie suivante. Non pas encore, non pas déjà le succès des grands salons mondains, mais le succès de l'art contemporain qui, contrairement aux discours de la sémiotique sur les œuvres dont on mesure préalablement les effets, conservait une démarche artistique qui se rattache à l'histoire de l'art du XXe siècle. D'un côté, on pourrait lui reprocher que sa Tour Eiffel n'ait rien de celles de Delaunay, mais Delaunay ne semble pas figurer non plus parmi ses référents.

Car Pierre Cornudet a des référents dans l'histoire de la peinture. Les commentateurs répètent toujours les mêmes noms : Bosch, Van Gogh, Gauguin, Toulouse Lautrec, Picasso ou Dali. Sans doute, mais lorsqu'on a énuméré ces incontournables, on a dit peu de choses. Du moins, pas plus que le peintre le dit lui-même à travers certaines évocations de ses peintres favoris. Tel ce Gauguin guette qui n'est que du Gauguin vu à travers le prisme du style Cornudet. Plus près de Toulouse-Lautrec par contre ce Nu assis qui évoque les «japonaisies» qui faisaient fureur à Paris au tournant du XXe siècle. L'influence des jaunes de Van Gogh n'est pas à négliger non plus. Si Cornudet n'a pas la poésie du peintre d'Arles qui savait si bien marier la dorure des tournesols aux bleus des ciels de Provence, le jaune aveuglant des champs de blés et les corbeaux noirs qui s'y envolaient, l'acrylique phosphorescent lui permettra par contre de donner à ses jaunes une intensité tout à fait comparable aux jaunes de Van Gogh. Cornudet ne cache pas ses sources d'inspiration, même s'il peut prêter à Picasso un certain regard terrifiant. Il leur rend hommage en les transformant par sa signature.



C'est le cas du Raphaël, Matisse et Picasso où trois œuvres célèbres - les Trois grâces du premier,  la célèbre Danse du second et des extraits de Guernica du troisième -, sont superposées sur une même surface. Ce jeu, qui convient bien aux défis que se donne l'art post-moderne d'emprunter aux grandes œuvres de répertoire, n'enlève rien à cette haute voltige des figures peintes en pointillés. Hommage à Sisley et à Seurat auxquels les commentateurs devraient pourtant faire référence, davantage qu'à Bosch ou à Dali! Il n'y a qu'à aller voir sur le site Facebook de l'artiste pour le voir enveloppé des tableaux d'Alfred Pellan (1907-1988). C'est chez un peintre québécois du milieu du XXe siècle qu'il trouve une part importante de son inspiration, les grands-maîtres n'étant que des défis desquels il se lance un défi. Des portraits qui seront ceux qu'il l'inspireront pour ses évocations du Cameroun; des animaux qui annonceront son propre bestiaire; des natures mortes entre Cézanne et Cornudet. C'est en équilibre au-dessus de l'histoire de l'art que se tient notre homme. Mais les historiens de l'art européens qui, pour la plupart ignorent l'art canadien ou québécois, ne perçoivent que des références qui sont parfois loin (Boch) parfois intimes (Van Gogh) avec Cornudet. Pour s'en convaincre il n'y a qu'à regarder cette composition appelée «La floraison». Le style Cornudet a assimilé tous les référents et ne reste plus que la manière avec laquelle il signe ses œuvres. Voilà comment il arrive à échapper à toutes les «ressemblances», aux pastiches, «à la manière de…» et toutes ces formules qui sont faciles d'évoquer lorsque l'Imaginaire essaie de ne pas défaillir devant l'inédit, ou se sentir trop dépaysé ou perdu dans un monde qui confond en condensant les chefs-d'œuvre de l'histoire de l'art.

Mais la référence incontournable à laquelle il faut faire appel car elle dépasse toutes les autres, tant au niveau de l'émulation qu'au niveau de la signature, c'est la peinture de son père, Michel James Cornudet (1932-1993). Sa huitième et dernière toile reste pour le fils «une énigme tout autant qu'une inspiration». Il est instructif de lire comment Pierre Cornudet analyse la dernière œuvre de son père : «J'y vois une fleur carnivore sur une roue,... deux cœurs dans un combat qui me semble des plus sanguinolent, les dents de la fleur sont bien acérées… c'est bien mystérieux cette histoire. L'architecte Pierre Large dans son livre "L'image magique" (éd Jacques Bersez - 1982) parle ainsi de mon paternel à la page 191 : "Un mot sur Mick, le pêcheur de carpes. Pour moi, c'est un ours. Un ours protecteur. Court et trapu, il a une puissante musculature. Il marche en se dandinant sur des petites pattes, les jambes en arceau. Son faciès est préhistorique: crâne en noix de coco, forte arcade sourcilière, nez large et vigoureuse mâchoire. Ses mains sont des battoirs. Leur contact est d'une fluidité apaisante, mais elle peuvent tuer d'un coup. C'est un instinctuel. Il voudrait expliquer, mais il ne sait pas. Les idées fusent dans sa tête et il procède par images. Quand il rit, il pousse des grognements, comme une bête. Mick a un don : Il a le sens inné de la perception des symboles. Certes, l'on peut être un bon visionnaire des symboles sans être à l'image de l'homme de Cro-Magnon. Cependant, je suis porté à croire que le primitif, le primaire, le sauvage, le fruste, l'enfant sont plus aptes à la vision symbolique qu'un être civilisé, donc dressé et nécessairement plus ou moins dénervé de ses instincts"». Ce commentaire a été fort révélateur pour le jeune Cornudet et l'a sans doute fort conforter dans son questionnement artistique.


Cet aveu, et nous aurons l'occasion de le voir se confirme avec le bestiaire de Pierre Cornudet, s'impose contre toutes les références plus ou moins approximatives que l'on puisse faire entre ses œuvres et les référents historiques. L'influence de Michel James Cornudet est marquante, même s'il n'a laissé que huit œuvres comptabilisées à ce jour. Il y a une continuité entre le monde de Michel James et l'univers de son fils. Si la composition apparaît plus simple, on reconnaît des éléments qui feront partie intégrante des acryliques de Pierre Cornudet : lignes courbes parallèles de plusieurs couleurs, cycles tournoyants, boutons floraux, formes réalistes encore imprécises. Le père est beaucoup plus influencé par les surréalistes que ne le sera le fils. Ainsi de cette composition de Tanguy. De même, l'autoportrait de Michel James rappelle certains autoportraits du jeune Picasso. Là aussi l'influence de l'art français du premier XXe siècle semble avoir modelé la créativité du peintre. Quoi qu'il en soit, le retour de Pierre Cornudet à la «terre paternelle» s'explique assez bien par la quête des racines lointaines d'un père qui était venu s'établir au Canada. Ayant vécu sa jeunesse jusqu'à l'âge adulte sur la «terre maternelle» dans le monde de la gens canadienne-française, la distance, l'éloignement des racines paternelles offraient au jeune homme une possibilité de s'affranchir de ce qui avait de pire dans le monde maternel pour retrouver ce qui pouvait y avoir de meilleur dans le monde paternel. Et ce meilleur fut l'immense, l'intense inspiration que les œuvres de son père eurent sur son Imaginaire. Les figures symboliques qu'il associe font de cette figure de Père celle d'un géant. Il n'y a pas de figure de Père castrateur dans la façon dont le fils/élève parle du paternel/maître. Il semblerait, toutefois, que Michel James se soit perçu autrement si l'on regarde attentivement l'autoportrait. Peur de la paternité? Un véritable masque d'acier servant de forteresse à un esprit inquiet, douteux, fragile? Une vulnérabilité difficile à avouer? Dans le regard de son fils, cette Figure du Père n'est rien d'autre qu'un homme tout à fait ordinaire assis devant une table avec un certain plaisir «à lever le coude», entouré de formes humaines déconstruites, circulaires, inquiétantes certes mais que l'on retrouvera à travers les évocations à l'enfance dans une bonne partie des œuvres de Pierre Cornudet. C'est la découverte de l'œuvre inachevée du Père qui entraînera définitivement la mort d'ÀNoNyMe SaNrEgReT (placée en 1997) tout en authentifiant le nom civil de l'artiste, Pierre Cornudet. Désormais, il disposait d'un patrimoine qui lui était propre.


4. Mère Afrique

On a vu qu'entre 1977 et 1978, le jeune Pierre Cornudet était resté huit mois au Cameroun. Autant que l'héritage paternel, cette expérience de la terre maternelle africaine a imprimé dans l'esprit du jeune artiste une prégnance qui durera durant des années et ne semble pas s'être dissipée, même aujourd'hui. Au moment où le catholicisme québécois était en pleine déroute, l'Afrique apparaissait comme une nouvelle «terre de missions» où les succès s'avéraient prodigieux. Les missions d'éducation, de modernisation; l'alerte donnée par le démographe et agronome René Dumont concernant les disparités économiques et alimentaires des populations africaines, tout cela suscitait une sympathie internationale. Le collège Bullier, où a résidé le jeune Cornudet, relevait de cet état d'esprit. Ancienne colonie allemande enlevée par la France à l'issue de la Première Guerre mondiale, le Cameroun recevait des missionnaires catholiques des pays francophones. Les promesses d'un monde nouveau semblaient s'être déplacées de l'Amérique vers l'Afrique pour les idéalistes déçus des lendemains qui n'ont pas chanté, après les événements de 1968. Aussi, il peut sembler hirsute de voir, sur une photographie, Pierre Cornudet accompagné de trois religieuses missionnaires.

En fait, le parcours de l'Europe au Cameroun est une parenthèse dans la vie de l'artiste. Ce n'est pas pour rien, comme nous l'avons vu, que Pierre Cornudet reste attiré, encore aujourd'hui, par les différentes expériences religieuses qu'il a croisées au cours de ses nombreux trajets. C'est la quête des origines qui anime le jeune Pierre et c'est la Figure de la Mère qu'il va croiser au cours de son expédition africaine. Laissons-le nous le raconter : «Voici une histoire qui est en moi d'une manière indélébile, une symbolique qui m'a foudroyé; un tournant dans cette expérience du Cameroun. Un des élèves qui venaient tous les jours au collège avait huit ans. Comme beaucoup, pieds nus, ventre gonflé et nombril boursoufflé; l'enfant me dit qu'il marchait quinze kilomètres pour venir et quinze kilomètres pour retourner au village. Dans la journée, il mangeait un ou deux petits beignets à l'huile de palme. Quel courage! Un enfant québécois aurait-il pu vivre dans un tel état? J'ai donc décidé un vendredi après les cours, de le suivre et de passer la fin de semaine dans son village, avec l'accord autorisé des frères et du village. J'ai donc fait en sa compagnie ses quinze kilomètres jusqu'à son village; un petit village perdu dans la brousse. Malgré leur extrême pauvreté, une petite fête fut donnée, je ne sais pas ce que j'ai mangé, mais ça provenait de la brousse, frais du jour. La maman du garçon avait dix-huit enfants. Lui, il était un des petits derniers. Dans cette vie décharnée et pourtant pugnace, une cérémonie eut lieu. Je ne savais pas ce qui se passait. Tout le village était présent. La maman sortit un œuf, et se mit à parler pendant que le garçon me traduisait. Elle me disait : «Tu es loin de ta maman, tu es arrivé jusqu'ici; puisque ta maman est loin, je suis maintenant ta maman et elle me tendit l'œuf! Ému mais interloqué, ne comprenant pas toute la dimension métaphysique de son geste, en prenant l'œuf dans ma main, je fus atteint d'un sentiment nouveau. Cet œuf est éternel en moi. Ravagé par trois sortes de vers qui habitaient mon corps; de la malaria, d'une dysenterie amibienne, d'insectes entrés dans ma peau et qui pondaient des œufs, j'ai quitté N'kol Mebanga le plus discrètement possible et de Yaoundé je suis arrivé à Paris pour un séjour de deux semaines, une sorte de période de transition entre ce que je venais de vivre et mon retour au pays natal. Je ne le savais pas encore, mais deux ans plus tard, mes accumulations d'expériences en tous genres allaient accoucher d'ÀNoNyMe SaNrEgReT». Nul besoin d'être anthropologue ni psychanalyste pour comprendre ce que signifie cette cérémonie de l'œuf, et les métaphores de l'anonymat et du no regret sont bien la confirmation de la re-naissance d'un être nouveau au sortir de ces huit mois (presque neuf, ÀNoNyMe SaNrEgReT serait-il un prématuré?) fécondé dans la brousse africaine.

De cette expérience en Afrique noire, Cornudet en a donc ramené des souvenirs, mais aussi une façon différente de voir le monde, un état de temps suspendu où il peut poursuivre la quête de son médium d'expression. Le résultat restera longtemps maintenu en serres chaudes, jusqu'à finalement se révéler dans des œuvres qui en seront la révélation dans la froideur de l'hiver montréalais comme des journées maussades parisiennes. C'est ce voyage au Cameroun qui a suscité ces tableaux en pointillisme bien connus, la série des Zozoe Fon Fon, huit sérigraphies exécutées une dizaine d'années plus tard (1989-1990) à Montréal avec la collaboration du typographe Sylvain Parayre. Ces œuvres de jeunesse, présentées également à l'exposition de la librairie Le Livre Voyageur en juin 2013, contrastent avec les œuvres plus récentes. Non seulement par les matériaux et la manière de peindre que par le chemin qui sépare les sérigraphies des œuvres à l'acrylique phosphorescent. Œuvres de jeunesse face à l'œuvre de maturité, cette distance permet de faire saillir ce qui a changé, ce qui a évolué d'une décennie à l'autre chez l'artiste. Zozoe Fon Fon est l'expérience de dépaysement rêvé, à l'exemple de Gauguin, quoique la différence de nature est incomparable. Gauguin peignait des scènes de Tahiti alors qu'il était encore en France alors que rendu à Tahiti, il peignait des souvenirs de sa terre natale. Le rêve précédait le réel. Chez Cornudet, c'est le contraire. Il vit au Cameroun quelques mois, puis, dix ans plus tard, il crée la sérigraphie Zozoe Fon Fon à partir de ses souvenirs et de quelques clichés photographiques. Ainsi, le tableau intitulé Palabre est inspiré, sinon transposé d'un cliché photographique. Si les autres tableaux de la série se révèlent plus originaux, il n'en reste pas moins que l'artiste y puise son inspiration sans jamais, toutefois, les «reproduire» comme font les peintres à décalques.

C'est ce que l'on peut constater en comparant l'autoportrait avec deux enfants noirs intitulé Abam a dzal doe a eza dzal ontoa zozoe fon, et le cliché photographique qui l'a inspiré. Les chauds bas de laine québécois n'y manquent même pas dans le tableau! Si les personnages sont inversés autour de l'autoportrait, c'est la réplique du même plan que Cornudet nous présente. C'est dans la composition des surfaces que l'artiste relit le cliché photographique, avec ses formes vermiculaires déjà adoptées et qui évoquent ici plutôt la laine qui habille les vêtements, bien entendu, mais aussi le sol, le mur, la porte et la fenêtre. Il n'y a pas jusqu'à la peau de l'autoportrait que cette «laine québécoise» n'envahit! Sous d'autres cieux, sous d'autres climats, une évocation de ce qui constitue l'hiver québécois se retrouve, imperceptible pour un spectateur qui ne s'y attarde pas, sous le chaud soleil d'Afrique, autrement peut-être que par l'incongruité. C'est ici que nous pouvons observer la présence, à première vue absente, de la Figure de la Mère. Elle accompagne son fils dans son premier grand voyage en terra incognita. La mission africaine, en elle-même, est un rêve maternel dans la mesure où il s'agit de répandre sa langue dans une terre «barbare», poursuivant ainsi les désirs insensés de conversion de l'Autre à Soi qui ont toujours animé les missionnaires du Canada. Plutôt que de faire un pèlerinage dans des villages autochtones d'Amérique, c'est en Afrique que le jeune Cornudet vit son initiation au métissage culturel.

Le voyage de Cornudet au Cameroun a surtout été l'occasion de rencontrer un peuple foncièrement étranger aux Québécois à une époque où la grande migration étrangère n'était pas encore commencée. C'était une occasion de rencontrer des cultures différentes à travers des jeunes gens qui eux-mêmes étaient déjà occidentalisés. C'était le choc de l'anomie autant pour les populations africaines que pour le jeune homme en quête de lui-même. L'importance de ce choc ne s'est pas traduit immédiatement puisque de retour à Montréal, c'est le chanteur et son band et le «performer» des Foufounes électriques qui se sont avant tout fait connaître. Ce n'est que beaucoup plus tard, après une lente maturité, que le choc a produit ses effets. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas attribuer de précocité mythique à Pierre Cornudet. Mais cela ne disqualifie en rien la valeur de son travail. Si l'œuvre religieuse n'était pas l'intérêt de sa «mission» en Afrique, la curiosité culturelle - qui l'a progressivement remplacée au cours des décennies ultérieures - était bien là. Devant une société qui passait progressivement de la nécessité au superflu, le Cameroun offrait un monde alternatif où la misère humaine était encore bien présente : les niveaux de vie contrastés et la persistance des traditions non encore ébranlées par la nouveauté consumériste. Si ce pan de l'univers africain qui sensibilise tant le militantisme tiers-mondiste de l'époque ne semble pas avoir pesé d'un poids énorme sur l'artiste, c'est que la joie de vivre de ses habitants suffisait à faire oublier ce qui est devenu pour nous, précisément, un cliché. Car la terre maternelle africaine sait quand même prendre soin de ses enfants. Ne cherchons donc nul misérabilisme dans les souvenirs artistiques de Cornudet de son voyage au Cameroun.

Ce que retiendra donc l'artiste, ce sont les souvenirs d'hommes, de femmes et d'enfants dans des poses heureuses. Des hommes, il retient surtout le fardeau du travail. L'homme aux calebasses et à la machette illustre le travail quotidien dans la plantation de calebasses et de mangues. La composition des surfaces reprend celle de Abam a dzal doe a eza dzal ontoa zozoe fon mais la figure noire de l'homme rejaillit comme un contrapostó avec la coiffe qui s'enroule avec les nuages dans le ciel. La texture laineuse est véritablement de celle d'où jailliront les formes vermiculaires avant que celles-ci ne s'épurent. Dans un autre portrait, celui de La femme à la pipe et au cacao, nous retrouvons son pendant féminin. Elle aussi est à sa tâche, car tout le monde travaille au Cameroun. Il n'y a pas de place pour la paresse ou la grève du zèle. Et c'est par le travail que les humains se retrouvent le plus liés à la nature ambiante. Le Cameroun, c'est l'expérience d'une certaine harmonie entre la nature et l'humanité. Cette leçon persistera à travers les différentes phases du processus créatif de Cornudet, au cours des années, et ce n'est que de l'Afrique qu'il a pu l'apprendre.

Tel est le monde des adultes, mais ce n'est pas sur lui que les souvenirs de l'artiste se porteront le plus. Il y a, bien entendu Abag ye nteg, une jeune fille à la limite de la puberté. Elle aussi est sans doute affairée à la cueillette du cacao ou d'autres fruits de l'endroit. Souriante, sa figure noire, comme dans les précédents tableaux, rejaillit de l'univers des serpentins qui l'environnent. À l'exemple de l'homme et de la femme, son sourire est particulièrement souligné. Comme si les modèles posaient pour un tableau. La naïveté des scènes ne traduit pas l'un de ces clichés que les agences de tourisme vendent de la joie de vivre «naturelle» des Africains, mais bien de l'harmonisation au milieu. Voilà pourquoi il n'y a pas de «portraits» de Camerounais. Ce sont des individus dans leur milieu, avec leurs travaux et leurs jours qu'a peint Cornudet. C'est la Mère Afrique qui est l'objet de l'œuvre, et surtout dans sa fonction maternelle. Si les adultes vivent des produits de la terre, les enfants, eux, sont l'objet de soins attentionnés, et c'est cela qu'il tient à nous montrer.

C'est dans l'Afrique noire que Pierre Cornudet retrouve l'enfance qu'il porte en lui, car ce sont les enfants qui habitent ses tableaux. Eux aussi ont leurs rituels quotidiens. Ici, c'est l'heure du bain où l'on voit des enfants s'apprêtant à sauter dans des cuvettes d'eau, car en Afrique, il n'y a pas de baignoire pour les habitants de la jungle ou des communautés villageoises. Tout se fait comme dans les familles pauvres du Québec des années 30-50 qui ne pouvaient se payer des loyers confortables. C'est un passé récent du Québec ancien qu'évoque certaines scènes de la vie camerounaise. C'est là, probablement à cause des thématiques et l'émulation de l'artiste, que l'on peut saisir une parenté avec l'œuvre de Gauguin. Le contraste des couleurs est plus fort ici que dans les tableaux cités plus haut. De même, la couleur de la peau des enfants noirs, par le jeu des formes vermiculaires, devient moins intense. Une autre scène de la vie enfantine sont Les captures, où les enfants reviennent avec des fruits cueillis dans les champs. Les traditions primitives ne sont pas perdues. Cueillette et chasse font partie de la formation des enfants, même si des compagnies parviennent à exploiter intensivement le cacao et les calebasses. Car, au fait, qu'ont-ils cueillis ces enfants qui mordent gloutonnement dans leurs prises? Ce ne se semble pas être animal puisqu'on ne voit aucun sang ni aucune image de bêtes. Peut-on supposer que ce sont des calebasses particulièrement juteuses, des mangues surtout qui semblent fort appréciées des enfants. Cornudet a d'ailleurs illustré une fillette assise tenant sa mangue dans sa main. La fillette à la mangue a déjà les cheveux frisés et porte un vêtement qui, pour être coloré, n'en ressemble toujours pas moins au lainage qui tisse la surface des tableaux africains de Cornudet.

La décennie qui sépare le voyage au Cameroun de la réalisation des sérigraphies africaines indique l'espace de temps par lequel le jeune homme est devenu un adulte. C'est en adulte qu'il traite ces sujets et non comme un adolescent encore ivre de ce qu'il a vu dans un monde qui lui était au départ inconnu. Ce qui était une plongée dans une terre maternelle étrangère afin, peut-être, de mieux renouer contact avec sa propre terre maternelle n'est plus la préoccupation de l'artiste peintre dix ans plus tard. Car rien n'indique que Cornudet allait en Afrique afin de s'inspirer du décor africain et de la vie locale en vue de constituer une œuvre picturale, ni même une œuvre photographique puisque, semble-t-il, peu de prises de vues sont restées de cette époque. C'est donc d'avantage de mémoire qu'il a peint, douze ans plus tard, les tableaux que nous venons de voir. Rien en soi de merveilleux puisque si aucun critique européen n'a pensé évoquer le Douanier Rousseau, c'est que la peinture de Cornudet repose sur des paramètres différents que celui de l'onirique des terres de légendes. C'est ce que nous pourrons constater dans deux de ses thèmes de prédilection qui descendent de ce voyage africain : le monde de l'enfance et le bestiaire. Mais auparavant, il faut s'arrêter à la décoration de l'Épicerie de M. Hassen, à Paris.


5. Métamorphose d'ÀNoNyMe SaNrEgReT dans la poésie et par  l'humour



ÀNoNyMe SaNrEgReT, rappelons-le, aime le jeu, les poses d'équilibre ou encore surgir derrière une porte qu'il a décorée de ses formes vermiculaires. Comme pour nous surprendre. Pourtant, c'est à l'épicerie parisienne qu'il va entreprendre cette métamorphose qui va le conduire à devenir progressivement Pierre Cornudet. L'acrylique devient son matériau de prédilection. Les formes vermiculaires, sa signature artistique. Les surfaces recouvertes de labyrinthes, son univers; là où se dissimulent, peut-être?, des formes réalistes voilées aux yeux des non-initiés. Rappelons également que dans le Montréal des années 1960, le monde des magasins à chaîne n'était pas encore transformé en «grandes surfaces». C'était «l'épicerie du coin» (aujourd'hui rebaptisée du nom de dépanneur) qui approvisionnait les quartiers en produits de premières nécessités. Or, les années 70 ont vu ces petites «groceries» du coin de rue disparaître au fur et à mesure que surgissaient de vastes épiceries confinées à l'intérieur des centres d'achat. En arrivant à Paris, Cornudet redécouvre ces épiceries de quartier. L'une d'elles, celle de l'épicier Hassen Aouni, se laisse séduire par le talent du jeune artiste et lui confie la décoration de l'établissement. De plus, pour un temps, son épicerie va servir de salle d'exposition de ses dernières œuvres. C'est une occasion en or pour se faire connaître des Parisiens et des visiteurs venus de l'étranger. Si les musées nationaux ou métropolitains servent de mausolées pour les artistes disparus, c'est dans les lieux grouillants de monde que l'art des artistes vivants peut le mieux se faire apprécier. Cela rejoint la pensée artistique et sociale de Pierre Cornudet.

Et c'est bien visé. Les journaux parisiens accordent une place à la publicité de l'entreprise. Le prestigieux Nouvel Observateur consacre une pleine page à M. Hassen, épicier et mécène. Le Jour également lui consacre une page : Des pommes, des poireaux et Pierre au pinceau. Dans le Voici, on glose sur les arts comestibles. Si l'art ne nourrit pas son artiste, l'artiste nourrit les épiciers, et c'est en citant Baudelaire - à qui il dédit une assiette peinte de ses petites formes en feuilles -, que Pierre rend hommage à son «mécène» : «L'épicier est une grande chose, un homme céleste qu'il faut respecter, homo bonæ voluntatis! Ne le raillez point de vouloir sortir de sa sphère, et aspirer, l'excellente créature, aux régions hautes. Il veut être ému, il veut sentir, connaître, rêver comme il aime; il veut être complet; il vous demande tous les jours son morceau d'art et de poésie, et vous le volez (...). Servez-lui un chef-d'œuvre, il le digérera et ne s'en portera que mieux!» Et il n'y a pas jusqu'au Télérama qui rapporte les commentaires de l'épicier : «Il était libre de peindre ce qu’il voulait… Il a transformé mon épicerie en une boutique extra ordinaire. Si vous vous demandez ce qu’on vend ici? Je vous réponds : le social et des petites discussions sympa…» L'expérience est retenue également par d'autres journaux dont le journal Femme Actuelle qui proclame hautement que l'art entre à l'épicerie. Comme il se devait (sic!), la journaliste retient de l'ensemble le tableau Geneviève est revenue, duquel nous aurons à reparler. Mais elle souligne un aspect ambiguë de la situation de Pierre Cornudet et son rapport avec Hassen Aouni et son épouse, Lilia : «Hassen, un épicier conquis par les œuvres d’Anonyme Sanregret, peintre sans domicile, lui offre le gîte et le couvert. Pour le remercier, Anonyme décore le magasin de fresques et de présentoirs humoristiques. Lors du vernissage, 500 personnes se déplacent! Devant un tel succès, Hassen et sa femme réclament l’appellation “Épicerie d’Art Alimentation Générale”, pour assurer la promotion d’autres artistes méconnus!» D'un côté, ÀNoNyMe SaNrEgReT devient un s.d.f., de l'autre il vit aux crochets du couple Aouni et, en guise de remerciement, décore sa boutique. Le succès de l'entreprise donne aux époux Aouni la position ou bien de bons Samaritains proches de la sainteté, ou bien de profiteurs d'un échange inégal qui entendent vivre de travaux d'artistes dans le besoin. C'est une formulation pour le moins maladroite, porteuse de pleins de sous-entendus mesquins.


Il est vrai que le couple Aouni ne peut que se féliciter de l'initiative. Le photographe Philippe Michel vient prendre des clichés de l'exposition et de l'artiste, ce qui nous permet d'avoir une idée de l'impressionnante exposition chez Hassen. Cornudet ne décore pas seulement l'intérieur de l'épicerie. Il l'«envahit» complètement, à l'extérieur comme à l'intérieur. À l'extérieur, il peint ce qui est probablement la devise du commerçant : «Libre service. À votre service». Il peint aussi bien la raison commerciale que les annonces publicitaires sur les murs, il agrémente les publicités, telle cette bouteille d'Orangina. Cette dernière fantaisie laisse deviner ce qui attend les visiteurs une fois qu'ils seront à l'intérieur; des fantaisies à la fois poétiques et humoristiques parmi les produits à l'étal, mais sur ce nous y reviendrons.


À l'intérieur, l'œuvre se répand partout, envahit les murs jusqu'au plafond. Une véritable Sixtine de la boutique se dresse aux regards stupéfaits des visiteurs. En effet, c'est un ouvrage impressionnant. Pas un seul espace non occupé par les marchandises n'est laissé dénudé. Tout, littéralement tout, dans l'épicerie en vient à porter les motifs Cornudet. Et comme le plafond est à peu près le seul espace entièrement libre, comme un Michel-Ange du modern style, il ornera son plafond comme bon lui semble. Les formes vermiculaires, après s'être répandues sur les murs, s'élèvent jusqu'à y adhérer, peints avec des coloris qui évoquent la végétation. Des arbres? Des fruits? Des fleurs? Cornudet en est encore à l'art abstrait. «Libre service» devient «Libre inspiration» et par là, «Libre interprétation». C'est bien ce que l'artiste voulait : occuper tout l'espace disponible, ne rien laisser en retrait. Comme dans une chapelle de la consommation, c'est en levant la tête que les spectateurs seront invités à considérer l'endroit où ils se trouvent. Quelles relations la boutique ainsi décorée tient-elle avec la nature, avec les formes abstraites qui expriment une métaphysique qui échappe à la reconnaissance réaliste? Cette forêt possède aussi ses menaces. Où nous conduiront ces formes serpentant des murs au plafond, envahissant les portes, comme celle de la réserve, recouvrant tous les objets, et surtout les plus banals? On éprouverait facilement un sentiment d'oppression, d'anxiété qui passerait de l'artiste «s.d.f.» au consommateur aisé; au petit Parisien qui ne souffre d'aucun manque. Se perdre dans le labyrinthe végétal peut être aussi une métaphore de la jungle des produits de consommation. Voilà pourquoi les paranoïaques et les claustrophobes pourraient se sentir bien mal à l'aise dans cette épicerie. Pour peu, également, on se sentirait dans une phase régressive, revenir aux temps où les hommes de la préhistoire décoraient les murs des cavernes afin de marquer traces de leur passage. La porte de la réserve, justement, vise aussi à rappeler aux visiteurs que la galerie reste toujours une épicerie et qu'il y a des endroits privés où ils ne sont pas invités à y pénétrer. La prolifération des expériences peintes n'enlève rien à la réalité de l'endroit. C'est un jeu, et rien qu'un jeu. Et les objets décorés, transformés, toujours par la malice du jeune ÀNoNyMe SaNrEgReT, ajouteront de l'apaisement à ceux qui se sentiraient oppressés.

Entre 1992 et la fin de la décennie, la malice enfantine de l'artiste va céder progressivement le pas à une maturité qui, sans perdre les caractéristiques de sa personnalité, cherchera à élargir les champs d'exploration tant des matériaux que des thèmes. Un processus de transformation profonde en l'artiste rejaillit dans ses compositions, qui ne sont souvent que des ébauches, pour l'Art comestible. Après les murs, le plafond et les portes, il faut maintenant maîtriser les objets qui traînent ici et là. Il en profite pour y exposer l'une de ses propres compositions, une Tour Eiffel, car comme tout tableau sied à un mur, même décoré, il s'agit d'ajouter un tableau dans la fresque. Ce type de jeu surréaliste plaît aux artistes adeptes de la paranoïa critique de Dali. Tout à côté, de vieux téléviseurs ont leur boîtier et leur écran envahis par les formes vermiculaires d'ÀNoNyMe SaNrEgReT. Le titre des deux artefacts, Hallucinations de télévision nº 1 et nº 2, donne l'impression que ce sont les appareils mêmes qui hallucinent après avoir tant fait halluciner les téléspectateurs! Entourés de bouteilles de vins, ils sont des téléviseurs éthyliques et projettent le décor ambiant, les images phagocytées de serpentins et de labyrinthes sans issus. Le second téléviseur est entièrement halluciné par des formes multicolores, comme pour nous dire que le téléviseur nº 1 était en noir et blanc et le nº 2 en couleurs. Le boîtier est également recouvert de dessins et de trompe-l'œil (une bouteille et une photo). Le téléviseur, objet conventionnel et porteur des songes hallucinatoires de notre société, intimement lié à la consommation des produits les plus divers, souffre ici de l'irrévérence de l'artiste.

Et il en va ainsi pour tous les autres objets, utiles ou non, de l'établissement. Tantôt c'est un ouvre bouteille qui subit une métamorphose animale - un oiseau -; tantôt une ardoise qui marque le kilo, la botte ou la pièce. Cornudet choisit la pièce, tant il trouve que le lieu apparait théâtral! Il n'y a pas jusqu'au «seul endroit au monde à vendre du papier de toilette quand il y en a plus» pour découvrir, une fois le rouleau dévidé, les petits vers colorés. Enfin, qualifier de «dose d'âme», le manche d'un robinet de bière  décoré par les mains d'ÀNoNyMe SaNrEgReT, est d'une poésie subtile. Dans sa quête de l'extravaganza, en effet, il aime «épater les bourgeois» qui, eux, ne demandent rien de plus tant ils s'émerveillent devant de si gentilles gamineries; ces tours de force qui relèvent plus de la prestidigitation que de l'art. La métamorphose se réalise sans douleur. L'ironie n'est même pas méchante! À peine douce-amer. Cornudet est à l'école d'ÀNoNyMe SaNrEgReT encore pour un temps. Comme dans n'importe quel spectacle de magiciens, c'est dans le regard des spectateurs que s'opère la métamorphose, beaucoup plus que par les mains de l'artiste. Celui-ci se prête au jeu avec joie. Comme un magicien exécutant un tour de passe-passe devant le regard d'«enfants» émerveillés. Rien ne prête à conséquence. Il ne faut pas prendre ça au sérieux, quand même! Baptisez le tout de «baroque», de «surréaliste» ou même de «kitsch», Cornudet n'en a cure. La boutique de M. Aouni peut bien joindre le caritatif au commerce, l'épicier ne se préoccupera certainement pas de l'avis des critiques d'art qui viendraient lui reprocher d'entretenir un «faiseur» dans son honorable établissement. Comme nous le verrons un peu plus loin, les décorations de l'épicerie Hassen participent du monde de l'enfance, et les adultes qui se refusent à considérer l'art autrement qu'une «chose sérieuse» n'y verront nul intérêt. Par contre, il semblerait que les 500 spectateurs venus au vernissage aient été satisfaits et les journalistes comblés par la prestation de l'artiste «s.d.f.».

Pris intérieurement par le processus de métamorphose, il n'y a pas jusqu'aux produits d'épicerie qui se voient transformés par l'artiste, peints en acryliques jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un mot ou même quelques lettres. Dépassant Semer et Oubliez-moi, la poésie des formes s'empare des mots. Bien sûr, l'apprenti-poète d'Inutile lance des clins d'œil à Andy Warhol. Il en va ainsi de sa composition : L'art de se bidonner, une série de bidons à lessive recouverts d'acrylique par l'artiste. Les icônes de la publicité bourgeoise sont moquées avec une douceâtre ironie. Les formes vermiculaires épargnent la figure d'un bébé suçant son pouce sur le premier bidon; dans les deux autres, elles accentuent les mots magiques de «liquide» et surtout de «gratuit», comme si tous ces produits se donnaient sans se vendre! Paradoxe vicieux de toutes ces publicités qui nous «hallucinent» à travers la télévision ou les panneaux publicitaires géants. Toutes ces références appartiennent à la post-modernité. Nous nous moquons de nos besoins essentiels à travers les produits qui les satisfont. ÀNoNyMe SaNrEgReT, insolent, s'en prend jusqu'à la fierté fromagère des Français, lorsqu'il recouvre d'acrylique une boîte de fromage emmental Président fromage emmental Président pour la transformer en Mental Résident! L'américanisation de la France - et de l'Europe - ne l'épargne pas du regard critique que posait le Pop Art sur la consommation américaine durant les Fifties. Service que tient à lui rendre le visiteur du Québec.

Cette ironie ira pourtant jusqu'à égratigner la réduction des sentiments à l'esprit commercial. Un espiègle comme ÀNoNyMe SaNrEgReT ne pouvait laisser passer l'occasion de se moquer des publicités racoleuses qui empruntent à la prostitution. Ainsi, deux boîtes - une, «PRIX CHOC en amour» et l'autre, «+ 20% offert en amour» -, touchent une douloureuse corde sensible. L'amour en serait-il rendu à se vendre comme n'importe quel objet de consommation, prêt à se trouver sur les étagères d'une épicerie? Quoi qu'il en soit, ces métamorphoses de l'amour en boîtiers à serviettes hygiéniques illustrent les limites mêmes du commerce, aussi bien de la petite épicerie que des grandes surfaces. Le rire de Cornudet prend un tour plus sérieux, plus mordant, voire plus tragique. Ces «gifles», adressées aussi bien aux consommateurs qu'aux commerçants, ne font pas que révèler une conscience sociale qui, si elle n'a pas fait du politique son sel, reste tout de même vivante dans l'esprit d'ÀNoNyMe SaNrEgReT. Non, elles crient la solitude de l'exilé, sa dérive devant l'étrangeté d'un monde à la fois pareil et différent, le sentiment d'une invasion intérieure qui renvoie aux mouvements vermiculaires qui se répandent sur les produits de consommation courante, des produits déjà qualifiés de banals mais tenus pour indispensables.

Pierre Cornudet commence alors à s'émanciper d'ÀNoNyMe SaNrEgReT, surtout lorsqu'il choisit des assemblages plus sophistiqués. Un carton de crème fouettée, intitulé ironiquement Art pour les grands…, est recouvert d'acrylique avec une garniture crémeuse au sommet. Mais les pots à tartinades Nutella au chocolat et aux noix lui permettent de jouer, comme avec les bidons de détergeant, sur les lettres découpées à l'acrylique. Ainsi streaptease d'un pot de Nutella, laissant en évidence le mot «nu», est-il encore une farce plutôt facile. Plus géniale, cette petite bouteille posée sur ce qui pourrait être un pot de moutarde de Dijon et qui évoque une sorte de grosse bouteille de lait ou, pour les plus pervers, un vibrateur. Les allusions coquines ne sont pas absentes des œuvres de Cornudet, il suffit d'avoir l'esprit pour les reconnaître. Pour le moment, il en restera surtout aux bouteilles. Nous avons vu plus haut comment son acrylique déformait les bouteilles de bière Dow ou Miller; à Paris, ce sont les bouteilles d'alcool qui lui serviront d'objets à transformations. Laissant couler l'acrylique, les petits vers grouiller sur les étiquettes, les jeux de mots surgiront comme en charades. Madame et monsieur forment un couple, le con et l'art, aussi, Ne le prenez pas personnel. Voilà à quel type de charades, bien innocentes, s'adonne l'artiste. Cornudet ne tombe jamais dans la vulgarité, même quand il additionne Con Nu : Connu, ou, ce qui ressemble à une bouteille de Cinzano est mariée avec le sempiternel pot de Nutella. Il procède de la même façon avec la charade qui donne son nom, Cor Nu Det avec un pot de Nutella placé entre une bouteille de vodka et une autre de spiritueux (?).

Le vin, en bouteille comme en boîte, lui offre des possibilités d'exprimer son «amour du ministre». C'est la façon ironique qu'il a choisi pour faire un peu de politique. Il en va ainsi de son affection pour les produits du terroir, avec cette autre composition intitulée Produits alsaciens, faisant ressortir ici le mot pils - pilules? -, qui sont particulièrement utiles les lendemains de veilles bien arrosées! Chaque bouteille, comme toujours, a son propre motif fait de serpentins colorés, des guirlandes qui célèbrent le produit et des retouches au nom «Météor» modifié d'une étiquette l'autre. Ces alignements de bouteilles qui, comme des mots, révèlent une phrase sont de la poésie de verre. L'ambition de Cornudet est d'allonger ces alignements. La composition Vers Le Paradis Ma belle Perle, faites de six bouteilles, alors qu'il n'avait jamais dépassé deux, dit son rêve - du jour où il aurait un atelier plus grand -, de se lancer dans un poème d'une bonne centaine de bouteilles. La Brasserie-atelier Bouteilles d'Art serait-elle le revers de l'épicerie d'art Hassen?

Comme tous les Québécois de sa génération, Cornudet est passé aux vins européens, alors qu'ÀNoNyMe SaNrEgReT optait plutôt pour la bière. Symbole d'une métamorphose plus profonde que de simples charades grivoises ou son nom porté en évidence? La décennie des années 90, tout en annonçant la fin d'un siècle, annonçait aussi le changement de références de l'artiste.


6. Le monde de l'enfance

L'enfance est un thème issu de son voyage de jeunesse en Afrique. Sur plusieurs clichés photographiques, on le voit entouré des enfants d'école du village. Leur proximité est le jeu, ce qui ressortira de la suite des tableaux où l'enfance - et non l'enfant in se -  est le thème majeur. Cornudet aime les enfants pour leur fraîcheur, leur innocence mais aussi pour leur intelligence, leur ruse, leur inventivité. On a l'impression même que c'est pour eux qu'il travaille. Mais il n'oublie pas les côtés moins attirants de l'enfant. L'inquiétant tableau Réflexions d'un bébé sur les probabilités au jeu, avec le crâne ouvert comme le fonctionnaire à la fin du film Hannibal, laisserait-il croire qu'il est en train de manger son cerveau? Un autre tableau, moins inquiétant mais plus insolent, est celui de cette petite fille qui tire la langue. Elle n'est sûrement pas présentée sous son meilleur jour, et même si Cornudet aime les gamineries, il est difficile ici de considérer qu'il peint cette petite fille par complaisance. La fillette grimaçante nous permet de considérer que l'artiste distingue le monde de l'enfance des enfants, et tant bien qu'il aime les enfants, comme nous le montrent tant de photographies de son voyage au Cameroun en en France, il ne les aime pas tous de manière égale. Par contre, il ne se détachera jamais du monde de l'enfance, du jeu, de la rigolade, des sports. Le monde de l'enfance est universel et concerne aussi bien les adultes que les personnes âgées - ne dit-on pas de certaines d'entre elles qu'elles retombent «en enfance»?

Ses œuvres africaines sont présentées aux enfants qui les apprécient, même quand le thème troublant
Ce tableau a servi à illustrer la page couverture du recueil de Denis Vanier, L'épilepsie de l'éteint.
des deux squelettes nez à nez inquiète drôlement les adultes. Eux ne les jugent pas. Ils les apprécient comme un jeu et l'artiste ne semble demander rien de plus. Ses meilleurs tableaux surréalistes évoquent davantage des jeux qui en appellent à l'observation. Ainsi, s'agit-il d'un labyrinthe qui ne mène nulle part, ou bien d'un jeu de construction? Pourtant, en y regardant bien, dans l'ensemble, on pourrait identifier quelques figures animales, tantôt un castor, tantôt un loup. Et sur ces identifications, le tout se transforme en forêt. Ne recherchez aucune vérité fondamentale dans ce genre de tableau, il ne s'agit que de jouer pour y prendre son plaisir.  Le jeu du peintre consiste à commettre le tableau, aux spectateurs de jouer, d'imaginer ou de découvrir ce qu'ils y voyaient déjà avant de le regarder. Tout est dans la gratuité de la composition. C'est la générosité de Pierre Cornudet que de solliciter l'enfance en chacun de nous, à accepter d'entrer dans ses jeux, ses «songes en équilibre» où les formes vermiculaires embrouillent nos regards et ont pour but de cacher (ou de révéler?) quelques formes animales ou florales bien dissimulées au tournant d'une courbe. Il n'y a pas jusqu'aux Piste de course pour hélicoptères qui n'échappent aux labyrinthes ludiques. L'artiste, comme un croupier de casino, est le maître du jeu. À vous de choisir parmi ses tableaux lequel sera capable de défier vos perceptions visuelles. Cornudet aime embrouiller la vue en superposant, comme nous l'avons vu des tableaux de Raphaël, de Matisse et de Picasso, des reproductions d'images. Il en va ainsi des trois tableaux en un qu'il a composé pour les enfants du couple Aouni, ses logeurs de l'épicerie parisien, Yacine et Mehdi, une composition grand format jumelant trois couvertures d'album de Tintin : Les cigares du Pharaon, Le Lotus Bleu et Le trésor de Rackham le Rouge. Pour un Québécois des années 50-60, les albums d'Hergé ont souvent servi d'initiation à la découverte du monde, au goût du voyage dans les pays exotiques et le premier apprentissage de l'altérité des hommes. Les personnages d'Hergé sont des produits de l'enfance. L'idée de transmission qui ressurgira plus tard dans l'œuvre de Cornudet suppose une unité intemporelle de l'enfance. L'enfance fait fi des barrières psychologiques de races ou de sexes comme des barrières sociologiques de classes ou de fortunes. En cela, le goût pour la création d'objets hétéroclites et sans utilité, en recyclant de vieilles bouteilles ou des étagères d'épicerie, projette le spectateur par-delà les critères de l'esthétique ou de l'éthique des bien-pensants. D'ailleurs, personne n'est perdant à la table où le croupier Cornudet fait les jeux.


Aussi, n'y a-t-il pas de paranoïa critique dans les tableaux - sauf peut-être l'un que nous verrons plus loin -, ce qui limite l'influence de Dali sur Cornudet, influence qui existe plutôt dans ses compositions à trois dimensions. Car si nous nous sommes arrêtés longuement sur les ouvrages à deux dimensions dans ce texte, il ne faut pas oublier les constructions habiles dont la surface reproduit les effets des tableaux - vermiculaires, phosphorescents - de l'artiste. La référence qui évoque Dali est ce compotier qui en appelle aussi bien à ceux de Cézanne qu'à celui déposé sur la table dans l'hallucinante composition de Dali du buste de Voltaire qui vise, justement, à mettre en application son thème de la paranoïa critique. Le jeu du trompe-l'œil n'est pas absent de certaines compositions de Cornudet, mais ce n'est pas là son jeu préféré. Ici, le pied du compotier est constitué d'une bouteille peinte avec l'acrylique phosphorescent de ses plus récents tableaux. Car outre le fait de recouvrir de vieilles bouteilles de ses dessins, les décorations qu'apportent Cornudet aux objets n'a pas pour but de les dissimuler, mais bien d'en amplifier la déformation jusqu'à l'extravaganza dont il aimait nourrir ses performances. Ainsi s'intéresse-t-il aux chaussures. Non certes par fétichisme, mais parce qu'elles lui offrent l'occasion d'émerveiller les regards. Une femme se présente chez lui après avoir vu sa composition de mesure 38! Elle désire les acheter et ce n'est sûrement pas pour les porter. De même, les bottes du Cow-boy invisible recouvertes d'acryliques visent à susciter des effets qui n'ont rien de pervers. Ce ne sont toujours que des jeux qui conduisent à sculpter ou à envelopper des objets communs jusqu'au point qu'ils apparaissent extravagants à notre regard.

D'autres œuvres 3-D méritent que l'on s'y arrête pour leur beauté et leur élégance. Leur luminosité aussi, comme cette fameuse citrouille peinte avec les petits vers Cornudet, qui grouillent sur sa surface ronde; avec une bougie à l'intérieur, comme celles qui célèbrent l'Halloween au dernier jour d'octobre en Amérique du Nord - y compris au Québec - cette citrouille tout simplement éblouissante. Pour peu, on la prendrait pour l'une de ces sculptures mayas. Même vue de haut, la citrouille conserve son aspect magique, ensorcelante, mais nullement terrifiante. Une citrouille Cornudet, quoi. Tous ces jeux participent donc d'une vision surréaliste du monde. Du ready made de Duchamp aux autoportraits à la Dali, la collection des objets 3D de Cornudet cherche toujours à épater les spectateurs en associant des compositions hétéroclites. La rencontre du voilier et du volatile sur un boxeur qui s'apprête à «manger une volée» (à se faire mettre K.O.) est du pur Lautréamont.


Nous avons vu, lors de notre survol de l'épicerie Hassen, comment Cornudet s'amusait à revêtir toutes sortes d'objets de ses formes vermiculaires. Une fois déchaînées, elles envahissaient le moindre espace libre pour finir par recouvrir les étales et les téléviseurs. Aussi, ne doit-on pas s'étonner qu'il transforme lui-même ses nains de jardins. Il récupère des objets kitsch qui ornent généralement les pelouses et les jardins de résidences pour les transformer à sa manière. Il en va ainsi d'une composition photographique où il apparaît lui-même en compagnie d'un trio de grenouilles et intitule le tout, «Le crapaud et les trois grenouilles». Il faut comprendre ici la signification lubrique québécoise du mot «crapaud» qui associe à cet animal des qualités peu respectables de ruses, de duplicité, voire de séduction véreuse, comme dans les contes de fées. S'il redécore lui-même ses nains de jardins, c'est pour les transformer de manière à les tirer du kitsch standard pour leur donner des couleurs particulières. Non seulement, il les embellit, mais parvient à leur donner une bonne humeur qui manquait à l'original. Ce faisant, il les fait entrer, à part entière, dans son univers.

Des jouets retrouvent ainsi un revêtement qui les marie avec un tableau peint sur un mur. Dans cette composition, la tête du canard s'insère dans le décor sur lequel il est appuyé. Un Père Noël semble s'avancer vers lui, le tout unit par des serpentins de couleurs - des guirlandes? - qui donnent de Noël un étrange spectacle. Mais l'œuvre 3-D de Cornudet qui mérite toute notre attention, c'est la fameuse motocyclette conduite par une fourmis (?) et dont les antennes se terminent par des petites boules métalliques.  Sur sa Harley Davidson, elle ne reconnaît plus personne et, à l'exemple des motards d'Easy Riders, elle semble partie pour franchir des kilomètres à toute vitesse à la conquête du monde.  Un rêve que Pierre Cornudet caresse depuis son adolescence. Moto et fourmis sont décorés d'un revêtement cornudet qui donne l'apparence d'un uniforme. C'est en soi un petit chef-d'œuvre. On pourrait dire que l'art pour enfant est un genre mineur dans le répertoire et qu'il ne peut figurer parmi les grandes œuvres à enseigner dans les cours de critique d'art. Cette association de l'animal et de l'enfance à l'art n'a jamais été boudée par les civilisations du passé, pourquoi devrions-nous leur en tenir rigueur en les excluant de nos répertoires? Si les scènes hors perspectives du Douanier Rousseau et le palais fantastique du facteur Cheval sont souvent présentés comme des œuvres marginales, intégrées à l'histoire de l'art par la production d'œuvres littéraires analytiques, la complète réintégration de l'art de l'enfance dans le répertoire de l'histoire de l'art demeure taboue. L'une des grandes opportunités qu'offre l'art de Pierre Cornudet, est de considérer que travailler pour le bonheur des enfants est aussi important que de travailler pour orner la fatuité d'une famille bourgeoise ou le divertissement d'une foule qui cherche des thèmes pour se scandaliser ou se pâmer d'admiration pressentie.


À la fin des années 90, l'art de l'enfance va se diversifier dans la mesure où Cornudet bénéficie de nouvelles techniques de composition. Les plus lumineuses, les plus scintillantes de l'artiste. Déjà, nous l'avons vu, dans le tableau du buveur de vin attablé, des formes géométriques, abstraites, rondes plutôt que carrées, encerclées par des formes vermiculaires, commencent à rouler dans ses tableaux. Des têtes animalières (?) semblables à des cerceaux entrecroisés que l'on retrouve dans certains berceaux pour bébés ou dans les terrains de jeux d'écoles. On parierait, en effet, sur des visages qui s'entraînent les uns les autres. Les couleurs vives dues aux acryliques phosphorescents donnent à ses tableaux une luminosité qui rappelle celle des vitraux. Plusieurs de ces tableaux étaient en vedette à l'exposition au Livre Voyageur. Entre autre, l'extraordinaire Manège, dont les couleurs vives d'oranger, de rouge de brun et de verts scintillant à la lumière,  nous emporte dans le mouvement que nous ne pouvions percevoir que de l'extérieur dans le tableau précédent. Manège, toutefois, sur lequel il n'y a pas d'enfant, puisque le tableau a pour but d'inviter le spectateur à y monter et à entrer dans la ronde. Également, Totem, une œuvre qui en appelle moins à la religion des origines qu'à la fascination des enfants pour ces têtes animales superposées. Pour Cornudet, le monde de l'enfance ouvre ses portes directement sur le monde animal. D'ailleurs, l'artiste ne perd aucune occasion de célébrer les anniversaires d'enfant, jusqu'à peindre une sorte de Nounours Cornudet, comme l'appelle son ami Sylvain Parayre, qui vaut plus que la somme de bien des oursons de peluche en magasin. À une époque où après tant de tueries dans les écoles, d'accidents de la route ou de tragédies familiales les gens vont porter des calinours sur les lieux des drames, les oursons de peluche semblent devenir de plus en plus des symboles tragiques de notre monde, un substitut aux anciennes croix de chemin.

Pour qui regarde attentivement Manège et Totem, il peut constater qu'à travers la circulation des formes vermiculaires, des points se mettent en place. Ces «boutons», qui pourraient symboliser la femme et probablement la Figure de la Mère, présents dans les tableaux de l'enfance montrent le lien privilégié de l'enfance avec l'attention maternelle.  Si le totem marque l'empreinte de la Figure paternelle telle que redécouverte par Cornudet, il n'efface en rien la figure maternelle qui, à l'exemple des figures végétales du Modern Style du début du XXe siècle - les décorations stylisées de Hector Grimard pour le métro de Paris de 1900, par exemple -, envahissent peu à peu ses acryliques phosphorescents. Certes, il est toujours possible, également, d'y reconnaître les célèbres «remous» floraux que l'on voyait dans les derniers tableaux de Van Gogh, ses lumières nocturnes de la lune et des étoiles, les cyprès d'Arles, libre au visiteur de choisir. Mais la technique utilisée est originale et porte la signature de Pierre Cornudet. Les figures animalières de Totem - surtout des figures munis de bec d'oiseaux -, n'en attirent pas moins une curiosité enfantine. Je le répète, avec les œuvres de Cornudet, on ne pouvait imaginer meilleure introduction de l'art de l'enfance dans le panorama de l'histoire mondiale de l'art.

Mais, au-delà de l'enfance, il existe bien un amour de Cornudet pour les enfants, et cet amour a continué à prendre toujours plus d'importance, jusqu'à ses œuvres les plus récentes. Il comprend les enfants et sait leur faire plaisir avec une composition qui leur parle. Il n'y a qu'à regarder la joie ébahie de cette enfant qui vient de recevoir un des chats de Pierre Cornudet pour s'en émouvoir. Je dis «pour s'en émouvoir», car il n'y a aucune manipulation intellectuelle, je veux dire aucune de ces prétentions ésotériques critiques qui empoisonnent plus qu'elles ne vivifient l'art contemporain. C'est un cadeau de gentillesse et de générosité, pas une œuvre pour faire gloser sur des gnoses qui n'existent pas. Il en va de même pour le Nounours Cornudet. Ce tableau-objet - qui n'est pas un objet tableau comme on en montre dans les ventes aux enchères -, est adressé à une personne bien particulière, à Lyly, une enfant malade. C'est un jouet avec lequel on joue du regard, avec qui une enfant peu parler, qui sait qu'elle sera écoutée et qu'il lui répondra. Bref, cet ourson peint est la présence de l'artiste par procuration. Telle est, encore et toujours, la générosité de Pierre Cornudet, pour qui l'art ne se justifie pas par les cotes aux enchères - bien qu'il ne les refuse pas, cela va de soi! Il n'y a pas que la gravitas qui motive les œuvres que Cornudet peint pour les enfants. Il y a aussi les références aux jeux, aux bandes dessinées dont certains de ses tableaux pourraient faire une case à elle seule. Il reprend d'ailleurs certains de leurs personnages, comme le Tintin peint pour les enfants Aouni. Il en va de même du personnage de Charley des fameux albums «Où est Charley?» et dont la composition pourrait être du Cornudet. Car rien n'appartient plus à Pierre Cornudet que de dissimuler des figures dans des labyrinthes surchargées de formes abstraites. Maintenant, c'est l'univers de Cornudet qui envahit la figure et les vêtements du pauvre Charley…

Cette sensibilité à l'enfance, à l'enfance dans tous ses états : au travail dans les jungles du Cameroun ou à l'hôpital, dans les rues comme dans leurs rêves d'animaux fantastiques, voilà l'essentiel des œuvres de maturité de Pierre Cornudet. Car, pour que l'art soit véritablement une consolation à nos souffrances terrestres, il faut des êtres généreux desquels jaillissent les talents et le génie de savoir partager cette générosité. Certes, il y a eu des artistes égoïstes, narcissiques, vaniteux de leur personne. Il n'y a pas une ontologie de l'artiste qui le placerait à un degré moral supérieur aux autres humains. C'est un «surplus d'âme» qui dépasse à la fois des conditions matérielles souvent limitées (ils sont toujours les premières victimes de nos «compressions budgétaires» pour sauver nos sociétés en faillites) et une incompréhension, voire une indifférence des gratifiés face à leurs dons. D'où ce destin posthume de finir dans de véritables cimetières à tableaux que sont les musées où certains snobs se promènent en jugeant de tout et de rien. En ce qui a trait à Pierre Cornudet, son amour de l'enfance, je le répète, est hors de prix, c'est une valeur d'usage de l'humanité dans sa nature et dans ses capacités. La valeur d'échange n'existe pas dans le monde de l'enfance, sauf si cet échange s'appuie sur un modèle de réciprocité, ce qui le rend incompatible avec le monde des adultes, et surtout la société de consommation qui risque de broyer bien des enfances dans l'étau des demandes insatiables et des prix exorbitants de l'offre. À ce compte, notre monde est beaucoup moins attentionné pour les enfants qu'il ne le prétend. Si les générations antérieures n'ont pas toujours traité les enfants avec les égards dus à leur condition, notre monde les exploite commercialement, peuplant de rêves et de désirs cette condition afin de satisfaire des intérêts qui ne sont pas les leurs mais bien les nôtres; à la fois comme parents mais aussi comme producteurs économiques. Les rêves d'enfants deviennent des disponibilités d'investissements et d'emplois.


7. Le Bestiaire Cornudet


Il existe un bestiaire Cornudet et il provient de la même inspiration qui le pousse vers le monde de l'enfance. Protection de l'enfance montre un enfant tenant son biberon et protégé par deux ours. Ce tableau appartient encore au style ancien, celui avec lequel les fresques de l'épicerie Hassen ont été peintes. Les formes vermiculaires dessinent le gamin aussi bien que les deux bêtes qui semblent l'entourer comme des pères protecteurs. De ces bêtes, d'ailleurs, on ne saurait dire si ce sont des chiens ou des ours, ce sur quoi nous reviendrons plus bas. Toutefois, nous pouvons déjà mesurer toute la distance qui l'éloigne encore de sa période où l'artiste utilisera l'acrylique phosphorescent, comme pour ce tigre, où le réalisme des formes l'emporte sur les jeux vermiculaires. Le tigre est d'ailleurs l'un des rares fauves à hanter le bestiaire Cornudet.

Tous les bestiaires, du roman de Renart aux fables de La Fontaine, présentent des animaux anthropomorphiques. Ceux-ci portent en eux des qualités humaines, bonnes ou mauvaises, qui servent d'allégories des comportements humains. Les situations qui les confrontent et les réponses dont ils font preuves et dans lesquelles ils apparaissent les rendent, soit ridicules soit glorieux, vaillants ou honnêtes, modestes ou vaniteux. Le bestiaire Cornudet n'échappe pas à cette règle. Le tigre est une figure haute en force, en prestige et en détermination. C'est une Figure de Père castrateur mais pour le moment apaisé, les yeux étincelants. Nous ne le retrouverons plus et sa majesté sera transférée à l'ours. Ceci probablement en référence à l'ours avec lequel Pierre Large évoquait la personnalité du père Cornudet : «Pour moi, c'est un ours. Un ours protecteur. Court et trapu, il a une puissante musculature». Ainsi, ne voit-on pas Pierre Cornudet posant devant un tableau d'ours polaires. L'ours polaire canadien est ici avec sa famille, et s'il est impossible de dire s'il s'agit du père ou de la mère (Cornudet prétend que c'est la mère), sa face est souriante, heureuse. Pour rien au monde, qui ne le connaît pas, le prendrait pour un animal sociable et aimable. Avec L'Ours polaire, peint en acrylique phosphorescent, il atteint un degré de pureté incomparable tant il n'est pas constitué, comme les autres animaux du bestiaire, de formes vermiculaires. Celles-ci sont à l'extérieur de l'animal, et c'est là un trait significatif. Nous avons, pour exemple, le tableau peint avec la même méthode et représentant l'ours brun. Celui-ci a une physionomie franchement ursidée. Son museau, sa gueule, il n'est pas possible de s'y tromper, tant nous apprenons de la génétique que les ursidés partagent des origines génétiques communes avec les canidés. Ours et loups sont bien connus pour représenter les figures de Pères castrateurs dans la mythologie indo-européenne aussi bien que dans la mythologie amérindienne. Cette confusion est, par contre, plus évidente dans  l'Ours polaire, la tête ressemble davantage à celle d'un chien qu'à celle d'un ours et qu'on y mesure difficilement l'impressionnant museau des ursidés. Il est donc permis de constater que la figure de l'animal prend ici toute sa signification paternelle, non pas comme Père castrateur mais bien celle du Bon Père, roi des animaux comme il l'était dans les premiers récits médiévaux, ce que nous rappelle Michel Pastoureau, dans son magnifique livre, L'ours Histoire d'un roi déchu [Seuil, éd.). Aucun autre animal du bestiaire se voit purifier de la blancheur immaculée, hors des souillures de la mort, et c'est ce qui le rend majestueux. Entre la mélancolie du Père et la nostalgie du creuset familial, le bestiaire de Cornudet apparaît, de tous les genres, probablement celui qui implique le plus la poétique créatrice de l'artiste liée aux représentations symboliques originaires. Ces thèmes reviendront régulièrement dans d'autres tableaux animaliers, comme nous le verrons bientôt. 

C'est avec ce retour de la figure masculine/paternelle de l'ours, en effet, que nous abordons les tableaux actuels de Cornudet. L'animal, réhabilité dans toute sa majesté, est celui à qui il attribue les plus hauts mérites. Il est tout simplement admirable, entouré de ces «boutons» qui valsent autour de lui dans le but de le séduire. Il est bien ce roi des animaux qu'il était au Moyen Âge et il n'est pas peu fier de sa puissance et de sa gloire. Une fierté qui, sans doute, manque dans la société bourgeoise contemporaine et qui évoque les valeurs périmées peut-être mais souvent regrettées d'un monde féodal bien différent. En face de l'ours, il faut placer le cygne dans le miroir où une certaine vanité  féminine semble transparaître de la composition. Alors que les «boutons» sont de couleurs chaudes dans le tableau de l'ours, ici ils sont de couleurs froides, vertes encerclées de bleus. Quoi qu'il en soit, c'est bien la vanité (qu'importe le sexe, finalement) que le miroir amplifie de  l'oiseau. Son bec renfrogné s'oppose à la gueule grande ouverte de l'ours polaire. Les deux animaux forment le centre royal de la cour du bestiaire. L'attention familiale, peut-être parce que c'est celle qui manque le plus à l'artiste, est transposée, par exemple, dans les manchons empereurs reproduisant la cellule familiale idéale, le petit blottie entre les deux abdomens des parents palmipèdes polaires.


D'autres animaux reprennent des normes de courage ou au contraire de détresse. Par exemple, le singe attaché à une corde et fumant une cigarette, l'animal enchaîné, présente un côté moins heureux de la vie animale. Son asservissement à la fois extérieure (par la corde) et intérieure (par l'addiction à la cigarette) en font l'un de ces animaux dénaturés par l'apprivoisement. Se servir des animaux, comme l'on se sert aussi des enfants pour faire rigoler les adultes, n'est pas une marque d'affection particulièrement édifiante. Ces chiens dont l'on teint la fourrure, ces chats que l'on attife de boucles ou de chapeaux ridicules et que l'on fait parader devant un parterre de dignitaires indignes est bien une dénaturation de la nature dont le but n'est rien de plus que faire rire le bourgeois. Il en va de même pour le superbe Chat pitre où l'on se demande ce qui peut bien attrister cette pauvre bête. Bien entendu, il y a le jeu de mot, mais les «boutons» qui tournent dans la tête du malheureux animal nous interpellent sur ses pensées intimes. Ses yeux, sans être méchants, visent-ils une proie ou une conquête? Au visiteur de répondre. Une chose est certaine, il n'y a qu'à le comparer à la sérénité de l'ours polaire pour se rendre compte du malaise qui habite ce malheureux félin qui n'a même pas la chance du tigre de nous intimider!

Pierre Cornudet s'est exercé également dans le bestiaire à trois dimensions. Ici, ce sont des animaux massifs que l'on retrouve. D'abord un éléphant peint avec les couleurs et les formes vermiculaires de l'artiste. D'autre part, le taureau où l'artiste a décoré les cornes, les yeux et le cadre qui contient la tête de l'animal, fort beau d'ailleurs. Si l'acrylique phosphorescent donne de la luminosité aux tableaux dont nous venons de parler, les sculptures peintes évoquent plutôt l'ancien style de l'artiste. L'éléphant est en mouvement, avec le geste de sa patte que rejoint sa trompe. À la tête de taureau, triomphe du toréador sur la bête, l'on soupçonne, à la luminosité des cornes qui reflète la lumière d'ambiance, qu'elles ont été peintes à l'acrylique phosphorescent. Un autre animal dont la présence est signifiante dans le bestiaire Cornudet, c'est le coq. Nous en trouvons un modèle en trois dimensions. Comme les nains de jardin que nous avons vus plus haut, ce coq peint est un objet décoratif multicolore. Les plumes de l'animal disparaissent entièrement sous la couverture peinte qui ne vise pas du tout à lui redonner un semblant de réalisme par ses teintes. Seule la forme nous rappelle qu'il s'agit bien là d'un animal de basse-cour qui, paradoxalement, se promène sur l'herbe où il ne doit pas trouver grand chose à picorer.

Autre chose par contre est le coq récemment peint à l'acrylique phosphorescent. Cela nous donne d'ailleurs l'occasion de montrer quels effets la lumière entretient avec cette acrylique saupoudré de sel phosphorescent. Ces milliers de points lumineux qui réfléchissent la lumière qui se reflète sur la surface du tableau ajoute à l'aspect de vitrail que nous mentionnions plus haut. Le coq retrouve ici non seulement sa forme, mais aussi la couleur de son plumage. Le coq peint à l'acrylique phosphorescent du premier cliché, celui de Jean Faucher, est le proche parent de celui du second cliché, photographie prise dans des conditions où la lumière ne permettait pas de refléter la luminosité du coq, comme si celui-ci était plongé dans une nuit à la Van Gogh, tandis que l'autre apparaît beaucoup plus dans son scintillement d'un coq sorti tout droit de la basse-cour de Pierre Cornudet. On mesure bien ici tout l'effet de l'acrylique phosphorescent lorsqu'exposé à la lumière. Il donne au tableau une vivacité tout autre que celle que l'on peut voir dans un endroit moins approprié ou moins éclairé.

Deux derniers points avant de clore le bestiaire Cornudet. Son coq scintillant prête à une interprétation dalinienne de la paranoïa critique dans la mesure où la queue du coq semble donner une autre tête d'oiseau, plus dépouillée. Un croupion qui serait un double (féminin?) du coq. Cette queue rappelle ces poulets déplumés suspendus par les pattes dans les vitrines des boucheries cachères de jadis sur la rue Saint-Laurent à Montréal. Bien sûr, nous sommes toujours tentés, aujourd'hui, de rechercher le tableau (le vrai) dans le tableau, mais qu'importent les intentions de l'artiste, je m'abandonne au jeu, et n'est-ce pas ce que Pierre Cornudet nous demande à tous? D'autre part, ce même coq évoque, bien sûr, les girouettes qui trônaient sur nos clochers d'église. C'est une réminiscence qui rejoint à la fois la terre maternelle et la terre paternelle du sud de la France. Il permet ainsi une «réconciliation» avec le passé et pour le présent. Cornudet ne s'est pas expatrié du Québec. Il demeure toujours un Québécois et sans doute l'un de nos grands peintres (ainsi l'hommage Fleur délice, 2013). Contrairement à ceux qui sont partis «faire fortune» à New York et qui courtisent les millionnaires de Manhattan, il n'a pas «déserté»; il ne se plaint pas à l'étranger des attitudes des Québécois envers les arts plastiques et surtout leur incapacité à payer aussi cher que les ventes réalisées chez Christie's. Au-delà de la quête artistique, il y a la conduite morale qui concerne tous les membres d'une société. Il est permis d'aller faire carrière partout dans le monde, et si cette carrière permet de s'enrichir, soit. Mais il est peu gracieux et malhabile de le faire en méjugeant ses compatriotes. L'ambition cache ici beaucoup de lâcheté et affiche un manque certain de persévérance. La reconnaissance vient de nos œuvres et non de nos fréquentations. Seuls le talent et le travail font des génies.

8. La symphonie fantastique


Nous avons mentionné comment un certain tableau mettait mal à l'aise des visiteurs venus le soir du vernissage à la librairie Le Livre Voyageur. C'est un thème maintes fois traité par l'artiste si je me fie aux différentes photos de son atelier ou celle présentée ci haut avec deux fillettes qui se font photographier avec son œuvre, Geneviève est revenue. Reprit à l'acrylique phosphorescent le tableau devient Transmissions. L'écorché est un thème majeur dans l'histoire de l'art. De Rembrandt à Soutine, nous voyons des carcasses ouvertes d'animaux suspendus à des crochets de boucheries. Les planches de Vésale au XVIe siècle, illustrant son traité d'anatomie, offraient déjà des «poses» où les écorchés imitaient les attitudes pompeuses des statues de l'antiquité classique. Le tableau de Cornudet est différent de tout cela. Le tableau s'intitule donc Transmissions. Le thème semble inspiré déjà de son voyage au Cameroun. Comme au rayons X, la chair (en rouge où serpentent des formes vermiculaires) devient translucide et laisse voir les deux squelettes dont les bouches semblent vouloir se rapprocher. D'où la confusion avec un baiser entre morts, ce qui m'apparaît trop morbide pour un esprit comme celui de Pierre Cornudet. Une autre version du même tableau a pour titre Transmissions maternelles, ce qui confirme qu'il s'agit bien là d'une scène d'«éducation», d'«instruction» comme en a été témoin le jeune Cornudet, dans la manière dont se transmettent les savoirs et les traditions orales comme cela s'accomplissait au Cameroun, et qui serait le véritable moyen de vaincre la mort. Et notre «mythe de Tristan» ne nous dit-il  pas que l'amour est plus fort que la mort? Que l'amour tragique, où l'union des amants est consacrée par la mort même au-delà de toutes passions charnelles, était le thème de prédilection de nos anciens troubadours qui exaltaient leurs désirs d'amour pour distraire la cour d'Aliénor d'Aquitaine, située dans le sud de la France? Je vois également une «réponse» possible aux célèbres squelettes néanderthaliens trouvés au tournant du XXe siècle dans une grotte à Grimaldi. Dans une même tombe, les squelettes enduits d'ocre après une cérémonie que l'on suppose religieuse, une mère tient un adolescent tourné de dos dans ses bras. Dans quelle mesure l'artiste connaît-il cette position photographiée et dessinée dans tant de livres? je l'ignore. Mais le fait demeure que l'image équivoque de Transmissions peut prêter à certaines interprétations et causer d'inquiétants malaises chez certains spectateurs. Les deux approches ne sont pas exclusives. Nous savons, pour l'avoir vu tout au long de ce texte, que Cornudet aime superposer des impressions et des images - donc, des idées -, et le même thème peut servir à réinterprétation.
 

Dans Geneviève est revenue, le tableau porte un poème et il est adressé à Geneviève. Qui est Geneviève? Il s'agit d'une jeune écrivaine québécoise morte prématurément à l'âge de vingt-six ans, Geneviève Desrosiers (1970-1996), auteure d'un seul ouvrage de poésie, Nombreux seront nos ennemis.  La mort prématurée de Geneviève Desrosiers attrista Pierre Cornudet qui l'avait connue. Doudou est un autoportrait dont l'arrière-plan, un décor inspiré de l'Égypte ancienne ou de l'art africain, est une œuvre de Geneviève Desrosiers. D'autres toiles de Cornudet la représentait, elle, ses parents, son frère et sa sœur. Ainsi Doudou et Florence qui est entièrement de l'artiste. Geneviève est revenue a été peint après que Pierre Cornudet eut appris la mort tragique de Geneviève Desrosiers. Vendue en 2004 à l'Hôtel Drouot, Geneviève est revenue ramène à l'époque où Cornudet inscrivait des textes dans ses toiles - quand elles n'étaient pas entièrement constituées de mots -, renouant la poésie littéraire avec la poésie plastique :
Geneviève est revenue - elle était morte - elle m'a pris dans ses bras - elle m'a dit «je suis morte» - mais toi tu es vivant - au-delà des tourments - sculpte-moi l'azur - colore-moi l'horizon - hypnotise le lion - calcule les ballons - augmente la tension - apprivoise les sons - capte les rayons - abrège le fond.
Geneviève est revenue - elle était belle - je l'ai prise dans mes bras - - elle m'a dit «tu te rappelle» - mais toi tu es vivant - au-delà des tourments - sculpte-moi l’azur - colore-moi l’horizon - hypnotise le lion - calcule les ballons - augmente la tension - apprivoise les sons - capte les rayons - abrège le fond.

La rythmique des vers s'oppose à la longitude avec laquelle les mots défilent sur le tableau. Comme si les serpentins de vers (à la fois poème et symbole de la mort) étaient maintenant constitués de mots envahissant la surface de l'œuvre. Placées au centre du tableau, comme elles le sont dans son existence, la silhouette d'une Camerounaise (la figure de la Mère) sortie tout droit de sa sérigraphie et la rencontre de Transmissions, dotée ici d'ailes angéliques. Pierre Cornudet était à Paris au moment du drame qui l'a profondément secoué. Il connaissait tant cette famille et cette mort, par son hasard, par sa brutalité - elle est tombée d'un neuvième étage -, par l'âge de Geneviève surtout, l'a affectée au plus haut point. La mort n'était pas un thème de prédilection lors de ses fréquentations mystiques de son jeune âge. Qu'ils soient catholiques, des adeptes de Krishna ou animistes camerounais, les rites ne l'ont jamais prédisposé à croire que la mort était un terme définitif à la vie. D'où cet «évangile», cette «bonne nouvelle» : Geneviève est revenue! Ainsi, lorsqu'il travaille à décorer une tombe, c'est par ses formes multicolores qu'il l'orne, et qu'il invoque : Pour toujours.

À sa façon, Pierre Cornudet affronte le fantastique, qui n'a chez lui rien de véritablement boschien. Il y a, en effet, du mystique chez Cornudet; un mysticisme de la ligne simple, même serpentine, jusqu'à esquisser des formes vaguement réalistes. Une curieuse décoration se distingue de l'ensemble de son œuvre, toujours tellement pleine de points, de cercles, de labyrinthes vermiculaires. Dans la décoration de la mansarde du 37 rue de Vaugirard - 75006 Paris - 6e étage (l'étage qui était réservée autrefois aux bonnes de la maison), nous retrouvons un style épuré qui ne contreviendrait pas à la décoration d'une église dont l'architecte aurait été Le Corbusier. Le fantastique confine à la mystique davantage qu'à l'horrifique. Il doit être perçu sous l'angle du dépassement des effets de terreur ou d'horreur qu'on lui prête ordinairement. Ne reste que le bizarre. À la fois baroque et surréaliste, ce tableau d'un monument de centaure duquel s'élèvent des formes ailées qui évoquent des ptérodactyles de la préhistoire. Cette composition marie à merveille les anciens et les nouvelles techniques de l'artiste, tout comme les animaux fantastiques de la Grèce antique et de notre Parc Jurassique. Rien de vraiment terrifiant ici - Cornudet ne sait pas horrifier -, ce n'est qu'un autre jeu avec les forces en équilibre de ce monde. En effet, à quoi bon se vautrer dans l'horreur et dans la monstruosité lorsqu'on a fait de l'art un moyen essentiellement de consolation et d'élaboration d'un monde empathique? Voilà pourquoi l'écorché de Cornudet est si différent de ceux de ses contemporains, comme nous le verrons au paragraphe suivant. Avant tout, il y a une douceur certaine dans le regard que pose Cornudet sur la vie et sur la mort. Cette douceur, dans le regard, dans le geste, rompt avec la mine frondeuse du jeune ÀNoNyMe SaNrEgReT. Sur ce point, il est totalement différent de certains courants d'art issus de Beuys, où la mélancolie morbide et l'anticipation apocalyptique conduisent inexorablement à la complaisance dans la pourriture et dans l'abject.


Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à le comparer avec d'autres œuvres parfaitement contemporaines du début du XXIe siècle. En 2003, lors de l'exposition à la galerie Oudin Art contemporain, Pierre Cornudet expose Geneviève est revenue, le tableau qui devait devenir plus tard Transmissions et que l'on peut voir sur la photographie présentée plus haut, entre deux jeunes filles. Les écorchés présentés par les autres artistes confinent aux effets gores de l'horreur. Ainsi, pour n'en tirer que les moins sadiques, Décapitation, de Thierry Cauwet, qui associe un étrange alliage de sadisme et de voyeurisme d'où est exclu tout réalisme de la mort ou de la souffrance. Dominique Digeon, dans la voie post-moderniste de l'art, faisant référence au célèbre tableau de Gabrielle d'Estrée - les sœurs d'Estrée - n'est qu'une évocation d'un tableau beaucoup plus suggestif au niveau érotique. Enfin, ce qui se rapproche le plus de l'œuvre de Cornudet est, du même Digeon, L'écorché à la fleur de panicule . Le thème de l'exposition était suffisamment évocateur, L'heur mort. La bonne fortune de la mort. Ce goût gratuit pour le macabre, le sadisme, le voyeurisme morbide ajoute peu de choses à la tradition de l'écorché dans l'art. Seule la tradition de la danse macabre jusqu'au Grand Guignole de foire, y trouve un certain aboutissement. Contrastant avec la mort aseptisée des grands hôpitaux des cités urbaines, le squelette humain fait toujours œuvre de dérision sur la vie et sur l'après-vie. Tout cela, désormais, appartient au monde de la grande ville, des légendes urbaines de tueurs en série et de crimes de masse, qui ont remplacées les superstitions où ogres et sorcières terrorisaient les paysans. On ne retrouve pas l'univers de Pierre Cornudet dans cette foison d'œuvres lugubres.  Georges Bataille a colligé, avec Lo Duca, les œuvres artistiques les plus représentatives de la perversité humaine dans Les Larmes d'Éros Avec le fantastique de Cornudet, nous avons de la misère à y retrouver, ne serait-ce que moindrement, une évocation véritablement morbide qui s'y rattacherait. Rien, dans ce genre, ne dépassera la célèbre photographie du Supplice chinois des cent morceaux.

Lorsque Pierre Cornudet veut évoquer l'agitation criante de la ville - en l'occurrence ici, New York -, il renoue avec la critique du consumérisme qu'il faisait du temps de sa jeunesse. Times Square apparaît grouillant de vers (les étoiles du ciel de nuit) qui débordent les édifices en hauteur, prêts à se déverser sur la ville aux néons et aux écrans géants. Lui, dont les formes vermiculaires se déplacent partout sur ses tableaux sans jamais susciter le moindre dégoût, la moindre horreur, les voici qu'elles envahissent New York! Les écrans et les tableaux publicitaires sont menacés. Les taxis jaunes sont devenus oranges, comme si la corrosion avait commencé à les dévorer. Enfin la rue apparaît submergé de détritus (un amoncellement d'os humains?) dans lesquels les autos parviennent difficilement à circuler. Il est vrai que le New York ici dépeint remonte avant le «grand nettoyage» du maire Giuliani. Mais l'important n'est pas là. C'est dans l'ensemble l'inhumanité de la vie urbaine qui veut que la nuit finisse par avaler les lumières de la ville. Qui soupçonnerait une tendance eschatologique dans l'univers de Pierre Cornudet?

Ses derniers tableaux présentent tout autant la joie de vivre que les fantaisies les plus amusantes. N'est-ce pas un autoportrait que ce fêtard, loin de ceux des Andy Warhol, non plus incarné en produit de consommation, mais en joyeux fêtard? Un célébrant de la vie. Les formes vermiculaires tendraient-ils à s'effacer au profit de gros points noirs? On le reconnaît moins pas par la ressemblance du visage que par les lunettes dont il aime s'attifer. À la croisée de ce narcissisme et de son parcours que nous venons de retracer, il est temps de se demander pourquoi il convient de considérer Pierre Cornudet comme un grand artiste, un grand poète. D'abord, parce qu'il se raccroche, comme je l'ai déjà mentionné, à l'histoire de l'art occidental du XXe siècle. En ne prétendant pas faire table rase de ce qui a précédé, il peut identifier lui-même, en toute conscience dirions-nous, ce qu'il a conservé, ce qu'il a écarté et ce qu'il a créé de son propre chef. Ses thèmes sont à la fois issus d'une tendance marquée de l'histoire de la peinture et d'une essence toute contemporaine que j'appelle «le complexe d'Orphée», la confrontation qui oppose le Moi authentique, prisonnier des nécessités du temps, aux besoins de (se) construire un «univers» - l'univers Cornudet -, qui doit dire le réel au-delà du réel par tous les moyens techniques qu'offrent les arts : la rythmique musicale, celle des couleurs, du langage parlé ou écrit, et des mouvements. Ici, les observations de Jacques Le Rider tirées de Modernité viennoise et crises de l'identité (P.U.F. éd. Col. Quadrige # 302, 2000, p. 95) pourraient fort bien résumer l'inventaire des œuvres de Cornudet que nous venons de parcourir. «L’ornementalisme du Jugendstil, dont Klimt représente l’inflexion viennoise, est porté par une idéologie artistique où s’articulent une ambition orphique et cosmogonique (faire parler la Vie à travers l’ornement qui épouse les rythmes à demi cachés dans la Nature), et d’autre part un perspectivisme éminemment subjectif légitimé par le génie (le langage ornemental fonde un style qui obéit au “point de vue” souverain du créateur). L’ornement, selon cette interprétation constitue le signe distinctif d’une vision du monde “nietzschéenne”; tout en évoquant la participation mystique de l’Artiste à la totalité cosmique, Lou Andreas-Salomé précisait : “Mais à l’arrière-plan se trouve l’idée que l’univers n’est qu’une fiction crée par l’homme”. C’est cette belle illusion que Lou Andréas-Salomé définissait dans sa théorie du narcissisme de l’artiste comme “retour temporaire à la fusion originelle” et comme repli sur le moi, “non tel qu’il se rapporte consciemment à lui-même, mais tel qu’il se rapporte au fond commun, à l’enfance essentielle de tous les individus”». Si l'on oublie le contexte historique du Jugendstil, si l'on distingue la personnalité de Klimt de celle de Cornudet, mais si l'on regarde L'Arbre de Vie (1909), œuvre de Gustav Klimt, la convergence des esprits est incontestable.

D'ÀNoNyMe SaNrEgReT à Perre Cornudet, il semblerait…
…que l'évolution ait consisté à ajouter un pantalon.
De son refuge à Béziers, Dieu a fini par reconnaître les siens et il n'est pas dit que les plus grands chefs-d'œuvre ne sont pas à venir. Pierre Cornudet est un artiste prolifique. Présentement, il travaille à une toile beaucoup plus grande que ses tableaux réguliers; une toile de 2 m x 2 m. À l'exemple du Fêtard, Cornudet semble délaisser ses célèbres petits vers pour une nouvelle phase centrée encore davantage sur l'éclat des couleurs scintillantes qui font de ses tableaux de véritables fêtes pour les yeux. Il y rajoutera les point-lignes afin que son tableau soit complet pour sa prochaine exposition, chez Jean-Luc Alderweireld.

Travail terminé, 31 juillet 2013




Pierre Cornudet aime son travail et il a la générosité d'en partager les résultats avec ses amis, avec les visiteurs curieux, avec les amoureux de l'art. Dès qu'on met le pied devant sa porte, on peut, à la vue de celle-ci, prendre un premier contact avec le thème et la méthode de l'artiste. Pour le reste, il suffit d'aller dans l'un ou l'autre de ces petits restaurants, de ces petits cafés, au Québec comme en France, dont il a décoré les murs  ou les tables de serpentins vermiculaires, des animaux sortis tout droit de son bestiaire, des figures d'enfants, de noirs, tant de souvenirs de son bref passage au Cameroun, des réminiscences de jeunesse entremêlées du Plateau Mont-Royal des années 70 et de Béziers au début du XXIe siècle. Plus de Cathares. Plus de F.L.Q. Le monde se serait-il enfin pacifié après tant de millénaires d'horreurs? Pour ceux qui, comme moi, n'y croient pas tellement, il nous reste toujours la consolation et la sérénité des pacificateurs que nous amène l'œuvre de Pierre Cornudet⌛




 


Pour Jean-Paul Coupal, de Pierre Cornudet


Montréal
22 juin 2013

6 commentaires:

  1. J'ai vraiment aimé tout ce qui est écrit au sujet de Pierre c'est vraiment
    lui il est unique .

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  2. Cornudet c'est le meilleur. Après que je l'ai harcelé sans relâche, il s'est finalement décidé à me dessiner une grenouille.....(mon avatar ici) et même 2 (mon avatar sur FB).

    Le saviez vous ?

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    1. (Passage censuré du Petit Prince jugé trop violent)

      Rainette : Dessine-moi une grenouille.
      Cornudet : Non. Va-t-en!
      Rainette : Dessine-moi une grenouille. Pleeease.
      Cornudet : Approche-moé pas, tu vas me donner des verrues.
      Rainette : Pleeeaaase.
      Cornudet : Bon. J’t’en fais une, pis tu déchrisss.
      Rainette : Youpiiii!
      Cornudet : Tiens. La v’la ta maudite grenouille. Dépêches-toé d’la mettre dans le bocal car les vers ont déjà commencé à la ronger.
      Rainette : Oh! Elle est belle ma grenouille [sautillant] Merci! Merci! Merci!
      Cornudet : Attend un peu! J’vais te dessiner aut’ chose.
      Rainette : Une autre grenooouuuillle!
      Cornudet : Tiens. Comme l’essentiel est invisible pour les yeux. Je t’donne ça.
      Rainette : Oh! Le beau petit Renard.

      Et le renard s’anima, sauta et mangea la fatigante Rainette. Cornudet put peindre en paix tandis que le renard ronflait en digérant la Rainette.

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  3. j'pense que ça s'est pas tout à fait passé comme ça....puisque je suis encore là pour en témoigner. Faut pas sous estimer les geurnouilles. Elles n'abandonnent JAMAIS.

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    1. http://floconsdebonheur.files.wordpress.com/2011/11/ne-jamais-abandonner-img.jpg

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  4. Quel trajet!!original dans le sens où ses peintures semblent issues de légendes primitives au symbolisme simple mais puissant...Ses toiles ont un charme quasi exotique. Vraiment un curieux personnage.

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